Le climat : variable de second ordre ?

Responsabilité sociale - Face à la crise sanitaire, les Etats veulent favoriser la reprise économique la plus rapide possible. Au détriment des enjeux écologiques et climatiques ? Ou est-ce au contraire l'occasion de réduire notre vulnérabilité à de tels risques ? Les explications de François Lett, Directeur du développement éthique et solidaire chez Ecofi Investissements.

Au prétexte de l’urgence, tout concourt à relancer les économies sans considérer la question écologique et climatique. Dans une lettre du 3 avril au ministère de la Transition Écologique et Solidaire, Geoffroy Roux de Bézieux, président du Medef, exige sans sourciller « un moratoire sur la préparation de nouvelles dispositions énergétiques et environnementales ».

Défis du Green Deal européen

Le lobbying efficace de l’industrie du plastique a réussi à réintroduire le sac plastique à usage unique pourtant banni, en accusant le sac réutilisable d’être propice à la diffusion du virus, sans même s’appuyer sur des études scientifiques. Dans cette continuité, l’industrie agrochimique demande des assouplissements sur les quantités maximales de résidus autorisées dans l’alimentation, de même que sur les distances de sécurité entre habitations et zones traitées.

Ursula Von der Leyen, présidente de la Commission européenne, avait l’ambition de faire du « green deal » le pilier de son mandat. Malheureusement, une majorité d’États membres le remet en cause, et même la sérieuse Allemagne procrastine pour transmettre à Bruxelles son plan énergie-climat, qui doit préciser les moyens mis en œuvre pour réduire ses émissions de CO 2 d’ici à 2030.

Quelle reprise après le Covid-19 ?

Aux États-Unis, pour stimuler la reprise américaine, Donald Trump a revu à la baisse les objectifs d’émissions de CO2 mis en place par Barack Obama pour les constructeurs automobiles en réduisant l’exigence de diminution des émissions des véhicules de 5 % à 1,5 % par an. Et pourtant, une enquête de l’institut Ipsos place le changement climatique (33 %) comme une préoccupation majeure des Français, devant le pouvoir d’achat (31 %), le chômage (18 %) et l’insécurité (16 %).

Le Haut Conseil pour le Climat (HCC), organisme indépendant mis en place en mai 2019 composé de treize membres, spécialistes de la science du climat, de l’économie, de l’agronomie et de la transition énergétique, est chargé de donner des avis sur les politiques publiques à mettre en œuvre pour tenir les engagements internationaux en matière de lutte contre le réchauffement climatique. A point nommé, ce dernier vient de publier un rapport spécial consacré aux enseignements à tirer de la crise du Covid-19 pour le climat, intitulé « Climat, santé : mieux prévenir, mieux guérir ».

Risques sanitaires et climatiques

Pour le HCC, la crise sanitaire souligne le besoin urgent de réduire nos vulnérabilités aux risques sanitaires et climatiques. « La baisse radicale des émissions de gaz à effet de serre constatée en France pendant la crise du
Covid-19 reste marginale face aux enjeux climatiques
». Ces réductions ne sont pas la conséquence de changements volontaires, mais d’une sobriété imposée et temporaire des déplacements et de la consommation, vraisemblablement de courte durée.

Le HCC préconise donc l’extension du télétravail, l’accélération de la rénovation des bâtiments ou encore l’investissement dans l’efficacité énergétique et dans les infrastructures bas carbone (comme le ferroviaire, les transports en commun ou les réseaux de chaleur). Plus généralement, toute aide publique devrait être subordonnée à « l’adoption explicite de plans d’investissement et de perspectives compatibles avec la trajectoire bas carbone. »

Transports et énergies fossiles

Dans l’automobile, les constructeurs sont invités à investir dans la voiture électrique. Pour l’aérien, seul secteur où les émissions poursuivent leur hausse (+ 5 % en 2019, + 26 % depuis 2012) les exemptions actuelles d’objectifs climatiques ne sont pas compatibles avec le respect des Accords de Paris, explique la présidente et climatologue Corinne Le Quéré.

Alors que le prix du baril de pétrole n’en finit pas de plonger, le Haut Conseil rappelle que ce phénomène n’a rien de réjouissant pour le climat : il rend les énergies renouvelables moins compétitives et masque donc l’enjeu de sécurité énergétique pour la France. L’instance préconise donc de profiter de cette baisse des cours pour supprimer les très fortes subventions et exonérations fiscales aux énergies fossiles et de réduire ainsi au plus vite notre dépendance au pétrole et au gaz…

François Lett - Ecofi

Directeur du développement éthique et solidaire

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