EXCLUSIF / Financer la sobriété carbone : quels sont les enjeux de la stratégie de relance ?

Responsabilité sociale - En cette période de sortie de crise du Covid-19, les enjeux économiques semblent prendre toute la place. Reprise économique et transition énergétique sont-ils compatibles ? Comment la stratégie de relance peut-elle intégrer le financement de la sobriété carbone ? L'analyse de Guilhem Ventura, consultant senior chez Groupe Square.

Dans son discours du 13 avril, le Président de la République a posé les bases d’une stratégie et d’une planification autour de la sobriété carbone et de la résilience face aux crises à venir. Ces quelques mots probablement choisis à dessein suffisent à susciter l’attention sur le climat et à s’interroger sur les enjeux sous-jacents.

Y a-t-il une stratégie de sobriété carbone ?

Une Stratégie Nationale Bas-Carbone (SNBC) française existe déjà depuis novembre en 2015. Elle vise la neutralité carbone et équivalents en 2050 et la réduction de l’empreinte des gaz à effets de serre (GES) causés par la consommation. Cette ambition répond au maintien du réchauffement climatique à 1.5°C, recommandé par le Groupement d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC).

Cette stratégie bénéficie d’investissements annuels croissants mais insuffisants, atteignant 45 Mds € en 2018 et devant atteindre progressivement 74 Mds en 2028 pour être réussie. Cette feuille de route nationale est une planification sur le temps long, divisée en quatre budgets quadriennaux de 2016 à 2032. Les objectifs suivis par la SNBC pour 2050 sont les suivants :

  • Décarboner totalement la production d’énergie ;
  • Réduire de 40% la consommation énergétique ;
  • Diminuer au maximum les émissions hors la production énergétique, telles que l’agriculture (- 40 %) et les procédés industriels (- 50 %) ;
  • Augmenter la séquestration du carbone, naturelle (forêts, océans, etc.) ou artificielle (capture, etc.), d’un facteur 2.

Relance post-Covid et transition énergétique, même combat ?

Malgré les améliorations écologiques que nous observons à court terme, le confinement n’est en aucun cas une solution suffisante et durable aux enjeux environnementaux de notre société. C’est plutôt une réponse extraordinaire à une crise sanitaire de court terme, alors que la transition énergétique demande un engagement continu et de longue haleine. Sans stratégies ni volontés environnementales, les externalités positives du confinement seront éphémères.

En revanche, de cette crise émerge l’opportunité de mettre autant que possible la stratégie de relance au service de la transition énergétique, grâce à l’orientation des politiques publiques et privées vers sa réalisation. S’il est impossible de prédire la nature de cette relance, il n’y a pas de doutes quant aux sommes colossales à mettre en jeu. 5 000 Mds$ ont déjà été annoncés par le G20 alors que le GIEC demande pour le climat 2 400 Mds$ annuels et mondiaux.

En France, Bercy ré-estime le coût du chômage partiel à 45 Mds€, couverts par un plan d’urgence qui dépassera largement les 100 Mds€ promis début avril. Des arbitrages seront à réaliser dès la planification de la relance, en particulier à l’heure où les aéroports réclament un assouplissement fiscal et certains constructeurs automobilistes souhaitent un moratoire sur les objectifs de réduction d’émissions de gaz à effets de serre.

Vers la convergence des luttes

L’Institut de l’Économie pour le Climat (I4CE) anticipait l’allocution présidentielle dans son plan de financement du 1er avril en affirmant que « l’action climat, au-delà de la phase d’urgence sanitaire, peut concourir efficacement aux exigences de dynamique économique et de résilience pour notre société ». Cet argument est en partie corroboré par les estimations de la SNBC en 2016.

Par exemple, la création d’emplois supplémentaire grâce à la transition énergétique serait de 300 000 à 500 000 d’ici 2030 et de 700 000 à 800 000 à horizon 2050. Pour cette relance, l’institut privilégie les secteurs majeurs de réduction des émissions de GES : la rénovation des logements privés et tertiaires, les véhicules bas-carbone et les transports en commun, les infrastructures ferroviaires, les aménagements cyclables et la production d’électricité renouvelable.

La relance climatique préconisée par l’I4CE requiert des investissements supplémentaires de 19 Mds€ annuels, aux 45 Mds€ actuels, apportés par les secteurs publics et privés. Cette somme est raisonnable en comparaison au plan de sauvetage estimé à 6 Mds € pour Air France-KLM (Reuters), par exemple.

Quelles attentes sur l’investissement privé ?

Deux des cinq mesures proposées par l’I4CE concernent directement les investissements des banques publiques et commerciales. Tout d’abord, il s’agit de pallier les difficultés de trésorerie des entreprises et des ménages grâce à des dispositifs de financement à faible apport, à taux bas et à conditions avantageuses. Ensuite un accompagnement technique financier à la planification d’opérations lourdes devra être apporté aux collectivités et aux entreprises.

Le monde bancaire et financier se retrouverait à nouveau face aux défis de contribuer à la réorientation des financements défavorables au climat — 70 Mds€ en 2018, dont 90 % d’achats de véhicules thermiques — vers des projets bas-carbone et au doublement progressif du budget au service de la SNBC. D’après l’I4CE, la part des prêts commerciaux à destination des ménages et entreprises doit quasiment tripler entre 2018 et 2028 : de moins de 10 Mds€ à près de 25 Mds€. A cette fin, la SNBC préconise les leviers suivants :

  • Favoriser l’orientation des investissements grâce à des signaux fiables d’une part tels que les labels et la taxonomie et facilitant leur accès par des conditions privilégiées ;
  • Prendre en compte dans les choix financiers les risques climatiques naturels (canicules, montée des eaux, etc.) et économiques (dépréciation d’actifs, raréfaction des ressources) et valoriser les opportunités induites par la rentabilité des investissements bénéficiant de politiques climatiques ;
  • Accompagner et financer dans leur transition les entreprises mais aussi les ménages : aides à la rénovation énergétique, éco-prêts à taux zéro, certificats d’économies d’énergie, etc.

Emmanuel Macron prête une grande attention à ses paroles. Son allusion à la sobriété carbone demeure libre d’interprétation mais ne sera certainement pas sans conséquences. Si aucune annonce officielle ne permet de présager d’une relance alignée avec les objectifs climatiques, les experts précités sont les premiers à plaider en la faveur d’un tel dispositif. Les prochaines semaines seront plus éclairantes quant aux orientations nationales pour les prochaines années.

Guilhem Ventura - Groupe Square

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