Entreprises : crise sanitaire, tacle sur les rémunérations

Responsabilité sociale - En raison du confinement, les assemblées générales du printemps 2020 se déroulent en France à huis clos. Quelles conséquences pour le dialogue traditionnel entre actionnaires et entreprises ? L'analyse de François Lett, Directeur du développement éthique et solidaire chez Ecofi Investissements.

Covid-19 oblige, le gouvernement a pris par ordonnance plusieurs dispositions pour adapter les règles de convocation, d’information, de réunion et de délibération des assemblées générales françaises en 2020. Traditionnellement, à chaque printemps, les assemblées générales (AG) sont un temps fort du dialogue entre les entreprises et leurs actionnaires.

Nouvelles AG à distance

Exceptionnellement cette année, elles se tiendront à huis clos pour cause de confinement généralisé lié à la propagation du Coronavirus. Les actionnaires peuvent certes voter à distance, ou donner procuration au président, et les entreprises procéder par visioconférence pour que les actionnaires puissent assister à cette grand-messe.

Mais pas question d’y participer de manière active en posant des questions orales de chez soi, comme cela était la pratique lors de la tenue physique de ces AG. Ces mesures ne font pas les affaires des activistes qui profitent généralement des assemblées générales comme d’un portevoix. Ces derniers n’auront pas d’autre choix que de déposer en amont des résolutions ou de poser des questions écrites.

Rémunérations polémiques

Lors de l’Assemblée générale de Sanofi, le 28 avril dernier, les actionnaires ont voté à près de 60 % contre le package de départ du précédent Directeur général Olivier Brandicourt, parti en retraite en août 2019. La loi Sapin 2 de 2016 — qui contraint les entreprises à prendre compte le vote des actionnaires sur les rémunérations (say-on-pay) — s’est donc appliquée. Le Conseil d’administration de Sanofi a annulé le versement du bonus pour 2019 (1,1 million d’euros), réduit le montant des versements pour sa retraite chapeau, mais il n’a pas modifié le plan de rémunération en actions.

Pour Loïc Dessaint, Directeur général de Proxinvest, agence de conseil en vote, « la rémunération en actions représente une part très importante de la rémunération totale. L’enjeu du vote négatif se trouve donc davantage sur les attributions d’actions gratuites. » Proxinvest va donc écrire à l’Autorité des Marchés Financiers pour lui demander un avis sur l’application pratique de ce refus actionnarial.

Pour mémoire, le seul autre dirigeant du CAC 40 ayant fait l’objet d’un refus de sa rémunération est Carlos Ghosn, ancien PDG de Renault. En 2016, à l’époque où le say-on-pay n’était que consultatif, les actionnaires ont rejeté sa rémunération à plus de 54 %, sans que le Conseil d’administration réuni dans la foulée n’en tienne compte. Mais, en 2019, alors qu’il était détenu au Japon, le vote sur sa rémunération pour l’exercice 2018 a été rejeté avec 88 % de voix contre.

Un appel à la responsabilité

Une semaine auparavant, lors de l’Assemblée générale de Vivendi, une vingtaine de résolutions avaient déjà été approuvées avec moins de 80 % des voix. Soit un vent de fronde certain, soufflé dans l’univers feutré des AG, où les scores au-delà de 95 % constituent la norme. Le Président du conseil de surveillance Yannick Bolloré a été particulièrement visé.

Le renouvellement de son mandat n’a été approuvé qu’à 74,2 % et l’approbation de sa rémunération n’a recueilli que 68,7 % des voix. Pour mémoire, le groupe Bolloré possède près de 30 % des droits de vote de Vivendi. Pour PhiTrust, il est en effet paradoxal que Yannick Bolloré ait la responsabilité de « surveiller » le directoire de Vivendi auquel il doit lui-même rendre des comptes en tant que dirigeant de la filiale Havas, en quelque sorte une gouvernance inversée.

Enfin, onze investisseurs européens, dont Ecofi Investissements, ont déposé une résolution climat pour l’Assemblée générale de Total du 29 mai 2020. Ces derniers veulent inciter le pétrolier à aller plus loin et plus vite dans sa transition vers une économie bas carbone. Pour cela, ils ont dû rassembler un peu plus de à 0,5 % du capital de la société pour avoir le droit de déposer cette résolution, dont nous ne savons toujours pas si Total acceptera son inscription à l’AG. A cet effet, le Forum pour l’Investissement Responsable (FIR) a lancé un appel en avril 2020 pour :

  • donner la possibilité à une coalition de 100 actionnaires de proposer collectivement des projets de résolutions sur des questions Environnementales, Sociales et de Gouvernance en AG ;
  • charger le régulateur d’arbitrer la recevabilité des résolutions proposées si l’entreprise s’oppose à leur inscription à l’ordre du jour ;
  • demander une simplification générale des procédures liées au dépôt de résolutions.

François Lett - Ecofi

Directeur du développement éthique et solidaire

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