Dirigeants : les actionnaires n’hésitent plus à exprimer leur mécontentement sur les rémunérations injustifiées

Responsabilité sociale - En pleine saison des résultats d'entreprises, les actionnaires manifestent leur mécontentement envers les rémunérations jugées excessives. La crise va-t-elle favoriser une évolution de la gouvernance, vers moins d'écarts salariaux ?

Les rémunérations exorbitantes et injustifiées d’une partie des dirigeants ne passent plus auprès des actionnaires. La saison des votes est loin d’être terminée mais quelques sociétés emblématiques ont déjà subi leur fronde.

Plan social, outil à double tranchant

Chez General Electric (GE), pour favoriser la prolongation du mandat de Larry Culp à la tête de l’entreprise jusqu’en 2024, le conseil d’administration avait révisé en août dernier son plan de rémunération à long terme avec des modifications très favorables au Directeur Général (DG). Le conseil a ainsi réduit de moitié les objectifs de cours de l’action GE permettant au dirigeant de bénéficier d’une rémunération en actions évaluée à 232 millions de dollars à la fin de son mandat.

Depuis plusieurs années, le groupe est engagé dans une cure d’amaigrissement en raison d’un endettement élevé et de quelques erreurs stratégiques. Il a enchaîné les plans sociaux — près de 20 000 licenciements en 2020 — et les cessions d’activités. Les actionnaires ont finalement rejeté cette résolution à 57,7 %.

Ce vote n’est que consultatif et GE s’est contenté d’une déclaration lénifiante : « nous apprécions le point de vue de nos actionnaires et nous recueillerons d’autres commentaires de leur part, alors que nous prenons en considération le résultat du vote et que nous évaluons notre programme de rémunération des dirigeants pour l’avenir ».

Covid-19, la morale de la crise

Chez AstraZeneca une proportion significative des actionnaires a voté contre l’augmentation de la rémunération du DG Pascal Soriot. Lors de l’assemblée annuelle, seuls 60,2 % des votes ont été favorables à sa rémunération. Pour mettre en perspective cette défiance des actionnaires, il faut savoir que les grandes sociétés cotées obtiennent généralement un soutien d’environ 90 % en faveur de leur rémunération lors des votes consultatifs annuels.

La nouvelle politique salariale porte le bonus annuel maximal de P. Soriot pour 2021 à 2,5 fois son salaire de base, contre 2 fois auparavant, et le rend éligible à des attributions d’actions à long terme d’une valeur pouvant atteindre 6,5 fois son salaire, contre 5,5 fois auparavant. Ceci permettra au dirigeant français de toucher bien plus que les 15,4 millions de livres qu’il avait reçues en 2020.

Le Directeur Général à la tête d’AstraZeneca depuis 2012, avait déclaré avec une désinvolture certaine au Times dans une interview de 2018 qu’il trouvait « agaçant » d’être le dirigeant le moins bien payé du secteur. Les actionnaires ont donc réagi aux controverses sur les livraisons de vaccins anti-Covid en Europe.

Respecter les cultures indigènes

Rio Tinto a également subi la révolte des actionnaires sur le plan de départ de l’ancien DG Jean-Sébastien Jacques. Plus de 60 % des votes exprimés lors des assemblées annuelles de Rio Tinto à Londres et à Sydney se sont prononcés contre son rapport de rémunération. Bien que J.S Jacques ait été privé de primes d’une valeur estimée à 2,7 millions de livres sterling, sa rémunération a augmenté de 20 % l’année dernière pour atteindre 7,2 millions de livres sterling.

En outre, il a été autorisé à conserver les actions attribuées dans le cadre d’un programme d’incitation à long terme d’une valeur de plus de 27 millions de livres. L’ire des actionnaires a été déclenchée par la responsabilité reconnue de la compagnie minière anglo-australienne dans la destruction d’un site aborigène historique et unique dans le cadre d’une exploitation minière.

En France, s’il faut reconnaitre que les résolutions « say on pay » sont contraignantes il n’y a pas eu encore de coup d’éclat cette saison — même chez Atos où les comptes ont été rejetés à 63,2 % mais où parallèlement les rémunérations des dirigeants ont été approuvées à plus de 80 %.

François Lett - Ecofi

Directeur du développement éthique et solidaire

Voir tous les articles de François