La transition climatique, un enjeu majeur

Responsabilité sociale - Depuis les Accords de Paris en 2015, les scientifiques ne cessent de tirer la sonnette d’alarme avec, chaque année, des scénarios plus pessimistes sur la hausse des températures d’ici à 2100 si rien n’est fait pour inverser drastiquement la tendance des émissions de gaz à effet de serre (GES).

La dernière étude en date , qui alimentera le sixième rapport du GIEC  prévu pour 2021-2022, prévoit une hausse moyenne de 7°C d’ici la fin du siècle. Face à l’urgence climatique, qui représente un risque systémique pour la vie sur terre et, par conséquent, pour l’économie mondiale, l’industrie de la gestion d’actifs a un rôle clé à jouer. Elle se doit de faire évoluer les pratiques en accompagnant les entreprises sur le chemin de l’adaptation et de la transition climatique, mais aussi en favorisant une réallocation du capital vers ces entreprises vertueuses. Regard croisé entre Emma Haziza, hydrologue, Dr. de l’École des Mines de Paris, Présidente-fondatrice de Mayane, et Rick Stathers, Analyste-spécialiste Climat chez Aviva Investors.

Quelle est aujourd’hui l’urgence d’agir sur les risques climatiques ?

Rick Stathers : Les Accords de Paris signés en 2015 prévoyaient de contenir la hausse moyenne des températures à +1,5°C d’ici à 2100 par rapport aux niveaux préindustriels. Quatre ans plus tard, force est de constater que notre marge de manœuvre est très limitée. Le budget d’émissions de CO² encore disponible pour remplir cet objectif est de 420 Giga tonnes. Or, au rythme actuel d’émissions, ce budget sera consommé en dix ans. Pour espérer atteindre cet objectif, les émissions doivent donc, à partir de 2020, diminuer de 50% tous les dix ans, ou de 7% par an. Au vu des politiques d’atténuation mises en œuvre jusque-là et du potentiel limité des technologies de captation du CO², c’est un sacré défi !

Emma Haziza : Les conséquences sur notre environnement et nos modes de vie des différentes projections scientifiques sont difficiles à prévoir car nous vivons dans un monde complexe, globalisé, avec des répercussions multiples. Mais quel que soit le scénario retenu, il est important de comprendre qu’une hausse moyenne des températures d’ici 2100 ne se limite pas à la seule notion de « réchauffement » climatique. L’accumulation des émissions de gaz à effet de serre (GES) depuis le siècle dernier, avec désormais une concentration de CO² dans l’atmosphère terrestre de plus de 400 parties par million, soit le plus haut niveau depuis 3 à 5 millions d’années, provoque un « changement » climatique qui va bien au-delà d’un « réchauffement ». Or, cette terminologie est encore utilisée à tort, ce qui nourrit probablement le climato-sceptisme.

Comment le changement climatique se manifeste-t-il ?

Emma Haziza :  Comprendre le changement climatique, c’est reconnaître que nous vivons désormais dans un monde instable, avec des phénomènes météorologiques plus marqués, difficiles à anticiper. Certes, des masses d’airs vont devenir plus chaudes par endroits, mais aussi plus froides par d’autres. La pluviométrie sera plus espacée dans le temps mais aussi plus marquée avec, pour conséquence, des risques d’inondations plus importants. Les phénomènes de sécheresse seront plus fréquents avec des implications, bien sûr, colossales sur l’agriculture, mais aussi sur l’adduction en eau potable. Cet été, des communes françaises ont dû être alimentées par camions citernes, ce qui relevait il y a encore 2 ou 3 ans du scénario de science-fiction. Les habitants d’Europe du Nord ressentent désormais dans leur quotidien la succession de périodes de canicule, parfois dès la fin du printemps. Face à des territoires anthropisés, fortement urbanisés, il est urgent se demander si nos habitations et notre tissu économique sont adaptés pour vivre ce changement climatique.

Y-a-t-il déjà des conséquences pour les entreprises ?

Rick Stathers : Bien sûr et les exemples sont nombreux ! En Allemagne, par exemple, le transport fluvial sur le Rhin a été interrompu au cours de l’été 2017 en raison du trop faible niveau du fleuve. Or, c’est un passage crucial pour des produits finis, mais aussi pour les matières premières destinées à l’industrie du bassin rhénan. Cet été, en France, des centrales nucléaires se sont retrouvées à l’arrêt quelques jours faute d’alimentation en eau pour le refroidissement des réacteurs, avec des conséquences potentielles sur l’alimentation des différents réseaux électriques. Aucun secteur ne sera épargné par le changement climatique. Les entreprises n’ont d’autre choix que de s’adapter.

La notion « d’adaptation » revient dans vos propos respectifs…

Emma Haziza : Si nous n’émettions plus aujourd’hui de gaz à effet de serre, les résultats ne seraient perceptibles que dans 30 ans. Nous n’avons donc d’autre choix que de nous adapter au changement climatique provoqué par les émissions passées. Cela soulève la question de notre résilience à la récurrence de phénomènes météorologiques plus marqués, c’est-à-dire notre capacité à rebondir et à en atténuer leurs effets préjudiciables. Au-delà de l’élaboration de scénarios d’ici à 2100, il est donc urgent de développer des solutions d’adaptation afin de pouvoir gérer l’inévitable qu’est devenu aujourd’hui le changement climatique. Or, pour l’heure, les solutions d’adaptation sont le parent pauvre des politiques mises en place pour agir sur les risques climatiques. Elles se concentrent encore majoritairement sur l’atténuation des émissions de GES.

Rick Stathers : Effectivement, les investissements en faveur des solutions d’adaptation sont encore bien trop faibles. Selon la Commission Globale sur l’Adaptation , ils sont 20 fois moins élevés que ceux pour limiter les émissions de GES. Or, les catastrophes naturelles provoquées par des aléas climatiques causent chaque année des milliers de décès et engendrent des coûts gigantesques. Pour la seule année 2017, ils étaient estimés à 320 milliards de dollars . Qu’il s’agisse de solutions d’atténuation ou d’adaptation, toutes les recherches démontrent que les coûts-avantages d’une action précoce sont élevés.  Selon la Commission Globale sur l’Adaptation1, des investissements d’adaptation de 1800 milliards de dollars réalisés entre 2020 et 2030 dans cinq domaines – systèmes d’alerte avancés, adaptation des infrastructures, améliorations agricoles, protection des mangroves, protection des ressources en eau – pourraient générer des bénéfices nets de 7100 milliards de dollars.

Le développement des solutions d’adaptation doit-il passer par une coordination internationale ?

Emma Haziza : Pour reprendre une phrase du rapport Brundtland  de 1987, dans lequel le terme « développement durable » a été utilisé pour la première fois, « La Terre est une mais le Monde ne l’est pas ». Pour être efficaces, les solutions d’adaptation doivent être ciblées et locales car les manifestations du changement climatique impactent les sociétés et les territoires de manière totalement différente sur la Planète. Par ailleurs, l’aléa climatique est l’expression de la vulnérabilité d’un territoire. La gestion des risques climatiques requiert donc une véritable connaissance géologique du territoire, une appréciation des enjeux économiques et sociaux mais aussi de pouvoir tirer les leçons du passé. Les territoires résilients de demain resteront exposés aux phénomènes climatiques extrêmes, mais se seront adaptés avec des systèmes d’alerte fiables qui permettront aux populations d’anticiper et d’atténuer les dommages. Dans le sud de la France, des villes comme Nîmes, développent, face aux risques d’inondation, des solutions d’alerte pour la population et d’adaptation de l’habitat en tirant les leçons des catastrophes passées.

L’adaptation au changement climatique va aussi créer de nouveaux marchés…

Emma Haziza : S’adapter requiert effectivement de développer de nouveaux processus technologiques, de créer de nouveaux biens et services. Il y a déjà de nombreuses opportunités de croissance, par exemple, pour les entreprises du secteur du bâtiment, celles développant des solutions améliorant l’efficacité énergétique de l’habitat et des transports, les sociétés optimisant la gestion de l’eau potable et les systèmes d’irrigation, ou encore les entreprises réalisant des aménagements d’espaces côtiers pour faire face à la montée des eaux. L’adaptation des acteurs privés, entreprises bien sûr, mais également ménages, avec l’évolution des comportements vers des modes de vie et de consommation plus sains et moins carbonés, va être déterminante pour améliorer la résilience de nos sociétés au changement climatique.

Quel est alors le rôle d’un spécialiste Climat et de son équipe pour un gérant d’actifs comme Aviva qui souhaite accélérer la réallocation du capital vers les entreprises vertueuses ?

Rick Stathers : Notre rôle est multiple. Tout d’abord, nous suivons les études scientifiques sur l’évolution climatique et traduisons ces enseignements en données exploitables pour nos équipes de gestion. Nous les accompagnons également pour analyser les entreprises, plus précisément en évaluant leur exposition aux risques climatiques, les coûts générés et les moyens mis en œuvre pour s’adapter. L’objectif est de permettre aux équipes de gestion d’identifier des entreprises fournisseurs de solutions pour répondre à l’urgence climatique, mais également d’orienter les investissements vers les entreprises, certes, exposées aux risques climatiques, mais qui font le choix de faire évoluer leur modèle économique pour assurer leur pérennité dans ce nouvel environnement. Si nécessaire, nous nous engageons auprès des entreprises afin de les aider à améliorer leurs pratiques de gestion des risques climatiques. Nous collaborons aussi avec l’industrie et d’autres intervenants pour continuer à intégrer le défi climatique dans les pratiques d’investissement et les services financiers en général. Enfin, nous communiquons à nos clients et à l’ensemble des parties prenantes ce qu’Aviva Investors ainsi que le groupe Aviva entreprennent pour lutter contre l’urgence climatique et les résultats de ses efforts pour réduire les impacts climatiques de nos investissements.