Marchés financiers : un effet domino à double tranchant

Asset Management - La crise sanitaire se poursuit en 2021, avec des conséquences inattendues sur les marchés financiers. Quelles leçons retenir de l'affaire GameStop ? L'effet domino va-t-il se répéter sur le long terme ? Le point avec Thomas Planell, gérant chez DNCA.

L’activité économique s’est montrée finalement plus résiliente que prévu en France au quatrième trimestre. Malgré un deuxième confinement, le secteur manufacturier a poursuivi sa reprise. L’industrie a su s’adapter aux conditions sanitaires.

Si l’activité des services de restauration et d’hôtellerie reste en berne, 40 % sous ses niveaux pré-crise, la consommation des ménages a néanmoins montré une élasticité très positive à la levée des restrictions au moment des fêtes de fin d’année. Pour autant c’est moins la bonne tenue de l’économie au quatrième trimestre que les incertitudes des prochains mois qui occupent l’esprit des investisseurs.

Envisager le monde d’après

En France, si nous savons déjà que le couvre-feu pourrait coûter 1 % de croissance au premier trimestre, on s’inquiète surtout de l’obsolescence du scénario de croissance du PIB de 6 % en 2021 en cas de troisième confinement. Le risque est d’autant plus grand que les écueils logistiques entourant la distribution des vaccins se font plus nombreux qu’escomptés.

Par ailleurs, l’émergence des variants sud-africain et britannique met en péril les projections des taux d’immunité collective. Aux Etats-Unis, elle ne pourrait atteindre que 38 % de la population en mai alors que le niveau nécessaire à l’éradication des contaminations serait plutôt compris entre 55 % et 82 %.

La largeur de l’estimation témoigne, malgré la mise au point des vaccins, de notre difficulté à envisager le monde d’après. Cette prise de conscience explique en partie l’érosion du sentiment d’euphorie qui enveloppait les marchés, et plus particulièrement les indices américains. La façon dont les actifs financiers ont intégré ce risque s’est pourtant montrée contradictoire.

Obligations d’Etat, l’effet domino

En Asie comme aux Etats-Unis, les rendements exigés sur les obligations d’Etat n’ont pas baissé. L’or ne protégeait pas les portefeuilles. Les tensions constatées sur les marchés interbancaires en Chine ont accru la nervosité, quand bien même il est d’usage pour la PBOC de réduire ses injections de liquidités en amont de la célébration du nouvel an chinois.

Mais à la surprise générale, c’est le contrepied pris par les investisseurs individuels américains sur les valeurs les plus vendues à découvert par les grands hedge funds institutionnels qui semble avoir été la cause principale du sursaut de la volatilité. Au cœur des stratégies de ces « shorts sellers » institutionnels figure ce que le plus célèbre d’entre eux, Carson Block, fondateur de « Muddy Waters » appelle « l’effet domino ».

Il se produit lorsque la mise en évidence d’une seule irrégularité suffit pour convaincre le marché de remettre en cause l’ensemble des activités de la société, de l’authenticité de sa comptabilité à la probité de ses dirigeants, précipitant la chute du titre et les gains des vendeurs à découvert qui, de plus en plus nombreux, rejoignent le raid. Mais cette réaction en chaine est à double tranchant.

Retour en force du « short squeeze »

A la faveur des subventions versées par les plans de soutien à l’économie, d’effets de levier et de frais de transactions proches de ceux des professionnels, les investisseurs individuels américains ont organisé par le truchement des plateformes communautaires de véritables raids à l’achat contre les positions les plus consensuelles des hedge funds. 

Avec la progression à trois chiffres de certaines actions, l’effet domino s’est alors inversé, au détriment des fonds vendeurs à découvert. Afin de reconstituer les marges de sécurité et réduire le risque des engagements causés par des pertes potentiellement illimitées, les positions vendeuses ont été débouclées, entretenant encore davantage la hausse des cours. Ce phénomène connu sous le nom de « short squeeze » a alimenté l’un des mouvements les plus violents jamais observés.

Plus de 23 milliards d’actions ont été échangées ce mercredi à Wall Street, bien au-delà du précédent record du krach d’octobre 2008 alors que quelques jours avant, la recapitalisation de Melvin Capital rappelait les heures sombres de la Grande crise financière ou de la chute du fonds LTCM. Il serait de la part des intéressés bien malhabile de blâmer l’afflux de liquidités… car comme l’écrit Bossuet : « Dieu rit de ceux qui maudissent les conséquences des causes qu’ils chérissent ».

Thomas Planell - DNCA

Gérant analyste

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