Risque de pandémie mondiale : faut-il s’attendre à plus ?

Asset Management - Le COVID-19 nous a rappelé que les causes des crises économiques et financières peuvent s’avérer extrêmement imprévisibles. Cependant, même s'il était pratiquement impossible de repérer à l'avance le patient zéro, le risque de pandémie était déjà bien documenté. Dans la première partie de notre mini-série intitulée « La source de la prochaine crise », nous nous demandons si une maladie infectieuse pourrait de nouveau nous frapper ou si les gouvernements auront tiré les leçons du COVID-19.

L’image de la statue emblématique du Christ Rédempteur de Rio de Janeiro portant un masque est particulièrement frappante. Destiné à encourager le public à se couvrir afin de ralentir la propagation du COVID-19, le masque représente l’un des grands défis de la vie : évaluer le danger et réagir pour rester en vie.

Comme le sait tout bon historien, ce sont des schémas répétitifs. Pendant des siècles, différents agents pathogènes sont apparus, ont déstabilisé la société, et ont fragilisé leurs hôtes humains. Dans certains cas, des millions de personnes sont décédées, et ces épisodes sont désormais gravés dans la mémoire collective. Et malgré les énormes progrès de la médecine moderne, le monde est aujourd’hui loin d’avoir éradiqué les maladies
infectieuses. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a ainsi recensé 1 483 cas d’infections généralisées dans 172 pays entre 2011 et 2018.

Interconnectés mais terriblement mal préparés

La mondialisation est un facteur clé selon Ian Goldin, professeur à l’université d’Oxford et ancien vice-président de la Banque mondiale. Les pandémies ne représentent qu’une partie des effets négatifs inévitables causés par les flux incessants de capital physique et humain dans le monde, comme le souligne le livre de Goldin, The Butterfly Defect (Le défaut du
papillon). Goldin avait également identifié les risques de pandémie synthétique : des risques qui pourraient émerger par conception ou par erreur des expérimentations menées en laboratoire dans le monde entier.

Face à ce risque de voir les infections traverser si rapidement les frontières, le manque de surveillance sanitaire mondiale apparait évident. Pourquoi le COVID-19 semble-t-il avoir aveuglé tant de gouvernements et d’entreprises ? En 2017, 60 % des pays n’avaient par exemple mis en place aucun plan de réponse à une pandémie.

« Les gouvernements ne sont pas très bons pour répondre aux menaces lorsqu’elles semblent lointaines », déclare le Dr Robert Glasser, ancien chef du Bureau des Nations Unies pour la Réduction des Risques de Catastrophe (UNISDR) et chercheur invité à l’Institut Australien de Politique Stratégique. « Au lieu de consacrer des financements réguliers et significatifs à la lutte contre des menaces de cette ampleur, les gouvernements ont en effet dépensé davantage d’argent lorsque les pandémies virales ont éclaté. Mais très rapidement, les fonds se sont épuisés. »

Et maintenant, de nombreux pays se trouvent dans des situations très inconfortables. L’OMS est responsable de la préparation face aux pandémies, mais son très faible budget et sa dépendance à l’égard de financements volontaires se sont avérés pénalisants. Selon le professeur Goldin, elle a été privée des compétences, de la technologie et des
ressources dont elle avait besoin. Et si les États-Unis (plus grand contributeur au budget de l’OMS) mettent à exécution leur menace de se retirer complètement de l’organisation, la capacité de celle-ci à tenir ses engagements risque d’être encore plus compromise.

La coopération internationale est absolument nécessaire pour gérer plus efficacement le risque de pandémie. Afin d’accélérer le développement de vaccins, l’ancien PDG de Microsoft, Bill Gates, estime que « bien plus de milliards » devraient être consacrés à des mesures allant de la création de registres d’experts internationaux à la constitution de stocks d’équipements, en passant par l’établissement de partenariats public-privé.

Au cours de la rédaction de cet article, certains progrès ont été réalisés, l’alliance pour les vaccins GAVI ayant annoncé de nouvelles mesures incitatives, notamment des garanties de volume pour certains vaccins candidats avant leur homologation afin d’encourager les entreprises à investir dans des capacités de production. Le plan doit permettre d’accélérer la production de nouveaux traitements et d’en améliorer l’accès pour les pays à faibles revenus.

La résolution de tous ces problèmes entraînerait des changements importants dans le secteur pharmaceutique, notamment une plus grande collaboration entre les entreprises et la possible constitution de stocks. Certains grands problèmes d’approvisionnement, comme la réponse à une augmentation de la demande d’équipements de protection ou de flacons
en verre, sont apparus par intermittence depuis plus de dix ans. Pour être le plus efficace possible, les changements devront également impliquer de meilleurs systèmes d’alerte précoce et l’amélioration du bien-être animal dans les économies moins développées. Cela représente un énorme défi pratique dans certaines régions éloignées.

Il est difficile d’envisager qu’un système complet puisse être développé sans une surveillance et une collaboration supranationales efficaces. Les questions de transparence (la Chine a d’abord nié la transmission interhumaine du COVID-19) et de ressources (les États-Unis menaçant de suspendre leur financement en arguant que l’OMS est « trop liée à la Chine ») mettent en lumière l’absence actuelle de gouvernance. Comment une
organisation comme l’OMS peut-elle protéger la santé des populations du monde entier si elle ne bénéficie pas d’un soutien adéquat ?

« Les gouvernements n’ont généralement pas donné aux organismes supranationaux le pouvoir de regarder ce que les États faisaient », explique M. Goldin. « J’aimerais voir l’équivalent de la force d’intervention rapide de l’OTAN, capable de se rendre dans n’importe quelle juridiction du monde en peu de temps, d’isoler, d’identifier, et de placer à l’isolement n’importe quel virus. Cela nécessiterait des capacités de surveillance, ce qui suppose la
mise en place d’un accord mondial pour la rendre opérationnelle et pouvoir échanger les informations nécessaires. Rien de tout cela ne s’est passé. C’est une des raisons pour lesquelles les risques ont augmenté. »

Tirer les leçons ?

Alors que la crise se poursuit, des travaux ont commencé dans le but d’évaluer les mesures politiques utilisées pour contrôler la maladie, des mesures « d’une ampleur et d’une portée extraordinaires » selon le professeur Didier Sornette de l’École polytechnique fédérale de Zurich.

Il s’agit d’un domaine sensible car tout choix politique a un coût, et il est impossible d’évaluer la valeur d’une vie humaine. Ne pas prendre de mesures a des conséquences, que ce soit en pertes de vies humaines ou en baisse de productivité. Confiner des populations entières dans leurs foyers, fermer les entreprises, mettre des millions de personnes au chômage et
s’endetter encore plus sont autant de décisions qui pèseront également sur les sociétés pendant des années. Il est donc important de se demander si ces actions ont un sens.

« La question pertinente concernant le confinement est de savoir comment utiliser ce que nous avons appris sur le virus pour optimiser un ensemble de restrictions, de sorte que nous puissions parvenir à un confinement entraînant le moins possible de dégâts économiques, et poursuivre ces réflexions à l’avenir », déclare Ian Pizer, stratégiste chez Aviva Investors.

La comparaison des réponses à la crise sanitaire constitue un champ de mines méthodologique, car les confinements ont été mis en place à différents niveaux de contamination, à des rythmes différents, et ils ont été combinés à des stratégies alternatives visant à freiner la maladie. Il n’existe pas de réponse évidente et de nombreux coûts à long terme (associés par exemple à la détérioration des conditions de santé mentale ou au retard
des prises en charge de cancers) n’apparaissent pas encore clairement.

Une meilleure analyse des réseaux, c’est-à-dire l’utilisation active des systèmes de suivi et de traçage, pourrait réduire la nécessité d’imposer de coûteux confinements. La Corée du Sud a efficacement recouru à des technologies de surveillance pour limiter la propagation du COVID-19, en identifiant et en mettant les patients en quarantaine. Au moment où nous
écrivons ces lignes, moins de 300 personnes ont perdu la vie dans ce pays comptant plus de 50 millions d’habitants. Comparez cela avec le Royaume-Uni : 66 millions d’habitants ; 40 000 décès et un bilan toujours en augmentation.

« Le traçage de cas contacts a clairement des conséquences économiques minimes. Si vous êtes en mesure de réduire sensiblement le taux de contamination, la nécessité d’imposer des mesures de distanciation sociale, qui sont les plus dommageables sur le plan économique, est fortement réduite », explique Pizer.

Une telle approche soulève inévitablement des questions sur le respect de la vie privée, domaine auquel les différentes cultures sont plus ou moins sensibles. L’une des conséquences de cette crise, et du succès de la Corée du Sud dans l’utilisation des données pour la gérer, est peut-être que le niveau d’exigence en matière d’anonymisation des données a augmenté.

Investir et se préparer

Une leçon importante pour les investisseurs est la rapidité avec laquelle le risque de pandémie s’est transformé en un choc majeur sur les marchés, et ce en raison de la façon dont les gouvernements nationaux ont réagi.

« Ce n’est peut-être pas le virus lui-même qui détermine l’ampleur du choc, mais plutôt la réponse politique », explique Harriet Ballard, stratégiste multi-actifs chez Aviva Investors.
« Si un autre virus jusque-là inconnu devait émerger, nous examinerions de près lesconditions de confinement de certaines parties de l’économie et les mesures politiques d’atténuation potentielle, et ce afin d’évaluer les éventuels impacts. »

Dans le même temps, les analystes du secteur pharmaceutique s’attendent à ce que les gouvernements donnent la priorité aux dépenses de santé une fois la pandémie maîtrisée, ce qui pourrait alimenter la dynamique en 2021 et au-delà. Les dépenses de santé augmentaient déjà plus vite que le PIB avant la crise du COVID-19 et elles pourraient encore progresser. Les laboratoires pharmaceutiques de grande capitalisation les mieux placés, les entreprises des sciences de la vie et les fabricants d’équipements médicaux
pourraient tous en bénéficier. Le tableau pourrait être nuancé par le fait que certaines activités peu ou pas rentables pourraient se justifier par le bénéfice sociétal attendu. Dans certains domaines, les entreprises pharmaceutiques font en effet passer les patients avant les bénéfices.

Le message des épidémiologistes est clair : de nouvelles pandémies sont très probables dans le futur. En raison de la façon dont les micro-organismes se fixent, de leur immense résistance à l’évolution, et de notre mode de vie, ils ne sont pas près de disparaître. Ce que nous pouvons faire en revanche, c’est nous préparer beaucoup mieux. En comprenant la nature de la maladie, la façon dont nous interagissons, les résultats que pourraient avoir
des mesures politiques radicales et les contraintes qui pèsent sur les capacités industrielles et sanitaires, nous disposerons d’outils plus efficaces pour prendre des décisions en toute connaissance de cause.

« Si nous ne comprenons pas mieux comment les gens vivent, comment les citoyens mènent leur vie et travaillent, nous ne pourrons pas vraiment répondre aux défis qui se dressent devant nous en matière de santé publique », avertit Carol Brayne, professeur de médecine de santé publique à l’université de Cambridge. « C’est une pièce du puzzle qui a été beaucoup moins prise en compte ces dernières années, et c’est dans ce domaine que
nous devons concentrer nos efforts. »

Les virus ne sont pas plus intelligents que nous, ils sont juste singulièrement portés sur leur propre reproduction. Si nous consacrons suffisamment d’attention et de ressources collectives à leur lutte, nous aurons une chance de revenir à une sorte de normalité et de réduire leur impact.