Remettons sur le métier l’ouvrage des taux longs. Le profil est dorénavant hésitant aux Etats-Unis — plateau ou légère inflexion baissière ? — alors que la pente est modestement, mais régulièrement, haussière en Europe. Avec, qui plus est, un effet de ricochet sur le marché des changes : l’euro se raffermit par rapport au dollar.
Trois explications à retenir
Alors que se passe-t-il ? Voyons d’abord du côté américain. Si nous tentons, classiquement, de décomposer le taux long en prime de terme, anticipations inflationnistes et anticipations de croissance, il apparaît que c’est ce premier élément qui explique les « hésitations » du rendement des titres d’Etat. Pourquoi cela ? Trois explications me viennent à l’esprit :
- la compréhension que la « fonction de réaction » de la Fed a sans doute changé. Son regard « en moyenne » sur l’inflation et sa volonté d’être davantage en réaction qu’en anticipation impliquent de la patience en matière de prise décision de remontée du taux directeur ;
- et ceci en ajoutant que le marché ne paraît pas croire à une inflexion durable de la croissance économique. Le rebond probablement spectaculaire de T2 et T3 cette année sera suivi d’un ralentissement qui ramènera celle-ci sur un rythme proche de la tendance de moyen terme à partir de l’été 2022 ;
- des facteurs techniques peuvent aussi intervenir. Mais comment les définir ?
Sortir de l’épidémie
Passons ensuite à la situation en Europe. J’ai l’impression que le « vieux continent » reproduit un peu le schéma observé aux Etats-Unis quand l’amélioration de la situation sanitaire a « débloqué » l’économie. L’accélération de la vaccination laisse attendre une levée des freins à la croissance. Pour quelques mois, un fort tempo est attendu. Comment ne pas s’en contenter ? Et tant pis si nous ne nous interrogeons pas encore sur ce qui se passera après.
La thèse présentée ici pointe un décalage de phase entre les deux côtés de l’Atlantique ; avec un regard qui s’allonge sur la rive américaine, alors qu’il reste emprunt encore de court-termisme en Europe. Dans tous les cas, le « vaccin reste le maître des horloges », comme dirait ce Président de la République française qui fût l’assistant du philosophe Paul Ricoeur. D’où la double question suivante : quand sortons-nous vraiment de l’épidémie et avec quelles implications sur le profil des taux longs ?
Je trouve intéressant ce graphique, repris de la société de conseil en stratégie McKinsey. Il nous dit simplement que, en fonction du degré de dangerosité des variants sans doute et hélas à venir et du niveau d’efficacité des vaccins, le seuil d’immunité collective doit être relevé. Nous l’imaginons entre 60 % et 70 % ; il pourrait être entre 90 % et 100 %. La différence entre ces deux hypothèses (extrêmes) est simplement la prise en compte du temps nécessaire à vacciner encore plus de monde.
L’inflation et les taux longs
Revenons alors aux taux longs. Je pointais la semaine dernière un travail de recherche de la Fed de San Francisco, qui concluait à une baisse du « taux d’intérêt naturel réel » au sortir des épisodes épidémiques qui ont émaillé l’histoire européenne depuis le moyen-âge. Comme quoi le sujet intéresse ; un autre « papier » vient d’être publié sur le site de VOX EU.
Il étudie les comportements différenciés de l’inflation et de taux longs au cours et au sortir des guerres et des épidémies (Inflation in the aftermath of wars and pandemics ; Kevin Daly et Rositsa D. Chankova 15 avril 2021) : accélération des deux au cours de la guerre et repli progressif une fois la paix revenue versus peu de changements entre avant et après dans le cas d’une épidémie.
Pourquoi cela ? Premièrement, une demande déformée et stimulée pendant et après une guerre, à comparer à une demande contrainte pendant l’épidémie ; deuxièmement une destruction de capital physique au cours d’une guerre ; et pas lors d’une épidémie.