Relance : déceptions économiques et difficultés politiques

Asset Management - L'Europe et les Etats-Unis tentent de maintenir leur économie à flot malgré la crise sanitaire. Quelles politiques économiques et budgétaires se préparent pour 2021 ? Les explications d'Hervé Goulletquer, stratégiste chez La Banque Postale Asset Management (LBPAM).

Les chiffres de l’emploi de novembre aux Etats-Unis, publiés vendredi, illustrent l’intuition que le point haut de la croissance a été atteint en octobre. La dégradation serait engagée, épidémie oblige. Y va-t-il avoir une réponse immédiate de politique économique ? Le marché veut y croire ; mais du côté budgétaire, ce n’est pas fait.

En Europe, les deux dossiers des relations commerciales entre l’Union européenne (UE) et le Royaume-Uni (RU) et de la relance et du budget au sein de l’Union avancent difficilement. Le niveau de stress va monter d’ici au Sommet européen de jeudi et vendredi prochains.

Etats-Unis, la relance face au Covid

Nous l’avions dit et redit : aux Etats-Unis, le difficile contrôle de l’épidémie du coronavirus et la montée des mesures de restriction à la mobilité, même si elle est mezzo voce du fait de l’organisation décentralisée de la prise de décision en la matière, ne pouvaient que peser sur la dynamique de croissance. Cela devait commencer à se percevoir avec les indicateurs économiques de novembre. Bien sûr, les enquêtes de conjoncture auprès des entreprises (indices PMI ou ISM) n’avaient pas remonté l’information. En revanche les statistiques de l’emploi en portent la trace.

Les économistes de marché tablaient sur la création de 460 000 nouveaux postes de travail le mois dernier ; il faudra se contenter de 245 000. Bien sûr on peut pointer une poursuite de la baisse du taux de chômage : 6,7 % après 6,9 % en octobre. Hélas, elle s’explique pour beaucoup par une baisse du taux de participation (-0,2 point à 61,5 % ; il était avant le déclenchement de la maladie autour de 63 %). Notons aussi que pour la première fois depuis le mois de mai l’emploi, telle qu’il ressort, non de l’enquête auprès des entreprises, mais de celle auprès des ménages, s’est replié en novembre : -74 000.

Baisse du PIB à prévoir en 2021

Il paraît raisonnable de considérer que l’acquis de croissance accumulé jusqu’à maintenant « sauvera » l’activité du quatrième trimestre. Une avance, annualisée et d’une période à l’autre, du PIB de 2 % est une hypothèse assez crédible. En revanche, il est à craindre que l’entrée dans le début de l’année prochaine se fasse avec un tempo dégradé. Une baisse du PIB en T1 2021 est à envisager.

En premier analyse, nous pourrions l’estimer à 2 %. La perspective fait naître sur le marché des anticipations de nouvelles mesures de soutien par la politique économique à venir très vite. Cela sera le cas dès la semaine prochaine côté monétaire, avec une modification des règles concernant le QE — au minimum une extension de la maturité des achats de titres d’Etat).  Quid pour ce qui est du budget ? Nous discutions la semaine dernière des considérations politiques. Elles ne faisaient pas conclure à une initiative à venir avant la fin de la session en cours du Congrès.

Le budget, calumet de la paix ?

Est-ce que les contraintes économiques peuvent forcer la main aux parlementaires des deux camps et aussi à celui qui est encore pour quelques semaines le « locataire » de la Maison Blanche ?  Le marché va être attentif à toute information permettant d’éclairer le débat. Mon intuition est que le moment traversé aujourd’hui aux Etats-Unis est davantage politique qu’économique. Il le resterait jusqu’à l’élection sénatoriale du 5 janvier en Géorgie.

Dans tous les cas, au-delà de ce point de calendrier, aujourd’hui important, il faut être persuadé que le moment traversé exige une poursuite des décisions en faveur du soutien à la croissance. Nous pourrions même faire un parallèle entre le Biden de décembre 2020 (élu à la Présidence des Etats-Unis) et le Biden de décembre 2008 (élu à la Vice-présidence). Les similitudes en termes de réalité économique sont assez nombreuses : croissance, inflation, chômage, niveau du taux directeur de la banque centrale.

Perspectives de changement

Alors que devons-nous nous rappeler de la politique économique suivie au cours du premier mandat d’Obama ?

  • un vaste plan de relance pour sortir les Etats-Unis de la « grande récession », dont une  baisse des impôts ;
  • sauvetage de l’industrie automobile ;
  • réforme de l’assurance-santé (Obamacare) ;
  • durcissement de la réglementation bancaire ;
  • améliorer le rendement des moteurs thermiques, afin de lutter contre la pollution.

Les réalisations seront-elle aussi nombreuses cette fois-ci ? Peut-être pas ; mais il va assurément « se passer des choses » !

Europe, la logique du compromis

Changeons de continent et parlons de politique européen. Deux dossiers ont du mal à se conclure. Il y a d’abord les négociations commerciales entre le RU et l’UE. Il y a ensuite et au seul niveau de l’Union le plan de relance et le budget 2021-2027. Idéalement, les difficultés devraient être aplanies dans les quelques « petits » jours qui viennent pour que le Sommet européen de jeudi et de vendredi puisse entériner les différents accords. Disons que la relation entre Bruxelles et Londres reste compliqué.

La logique du compromis est trouvée, mais ô combien est-il difficile de s’entendre sur les formulations qui satisferont un gouvernement britannique soucieux de montrer à sa population que le pays a retrouvé une souveraineté pleine et entière. N’y a-t-il pas dans cette histoire quelque chose du rapport de la grenouille au bœuf ? A l’intérieur de l’UE, comment faire avec l’intransigeance de la Hongrie et de la Pologne ? En faire plier un, ou faire sans eux ?

La seconde option revient, au, moins je le crains, à ouvrir la porte au retour à une logique intergouvernementale. L’ambition d’intégration budgétaire, au travers  du rôle joué par la Commission, serait mise à mal. Reste la première…