Matières premières : vers un « super cycle » ?

Asset Management - Début 2021, les investisseurs guettent les premiers signes de reprise économique après la crise sanitaire. L'évolution du prix des matières premières reflète cette attente du marché. Quelles sont les dynamiques actuellement à l'œuvre ? Les explications d'Alexandre Baradez, responsable de l’analyse marché chez IG France.

Il y a des graphiques qui ne laissent pas indifférents : l’évolution du prix des matières premières sur les dernières décennies en fait partie. Alors que le thème de la reflation commence à monter en puissance avec le début des campagnes de vaccination et les espoirs d’un rebond économique marqué au second semestre, l’évolution des matières premières depuis plusieurs mois participe pleinement à ce sentiment.

C’est notamment le cas aux Etats-Unis et en Europe. Cela fait des mois que les anticipations d’inflation se redressent. En Europe, sur un horizon moyen terme, les anticipations d’inflation se sont redressées de 0,7 % à 1,3 % entre mars et janvier. C’est plus spectaculaire aux Etats-Unis où ces anticipations se sont redressées de 1,2 % à 2,4 % sur la même période !

Anticiper l’inflation

Les matières premières contribuent à ce redressement des anticipations d’inflation. Si nous prenons un indice composite comme le Bloomberg Commodity Index, qui représente l’évolution d’un panier très diversifié de matières premières, nous nous rendons compte qu’il a complètement effacé sa chute liée à la pandémie mondiale et est revenu sur les niveaux de début 2020.

Cet indice est composé d’environ 30 % de matières premières liées à l’énergie (WTI, Brent, gaz entre autres), de plus de 20 % de matières premières agricoles (maïs, blé ou encore soja), de près de 20 % de métaux industriels (cuivre, aluminium, zinc et nickel) puis encore près de 20 % de métaux précieux comme (or et argent) et le reste de l’indice est composé de « softs » dont le sucre, le café et le coton mais également de bétail (bœuf et porc). Il est donc diversifié et bien représentatif d’un ensemble de matières premières.

Si nous regardons l’évolution de cet indice sur du long terme, il était monté en 2008 à plus de 230 avant de basculer de façon pérenne à la baisse et atteindre son plus bas niveau l’année dernière en tombant en-dessous de 60 au premier trimestre, lorsque la pandémie a frappé le monde. Il s’est depuis redressé au-dessus de 80 et a effacé la phase de baisse liée à cette pandémie.

Reprise économique

Ce rebond est à la fois la résultante des espoirs d’une reprise vigoureuse de l’économie dans les trimestres à venir mais également d’une faiblesse du dollar liée à l’action massive de la Réserve Fédérale (Fed) dont le bilan a grossi de plus de 70 % depuis mars 2020.

Dans un contexte de reprise économique, poussif pour le moment mais qui prendra du momentum dans les trimestres et années à venir, il est difficile d’anticiper autre chose qu’une poursuite de la hausse des matières premières notamment avec une base de rebond aussi basse d’un point de vue historique.

La transition énergétique notamment dans les transports avec la montée en puissance de l’électrique et des batteries devrait continuer de tirer les métaux comme le nickel, le cuivre ou encore l’aluminium. Le cuivre a déjà connu une progression spectaculaire depuis mars avec un rebond supérieur à 80 % — tiré notamment par la reprise dynamique en Chine et les besoins industriels, mais également certains effets liés à une pression sur la production en raison des contraintes sanitaires liées à l’épidémie.

Rallye actions

Une consolidation pendant quelques mois des matières premières est possible, sachant qu’une partie de la hausse peut également être attribuée à une phénomène d’anticipation de la reprise en Europe et aux Etats-Unis, mais difficile d’imaginer une nouvelle rechute générale du prix des « commodities » à moyen-terme.

Ce sentiment que les prix vont continuer à se redresser à moyen-terme se traduit sur les taux avec une pentification. L’écart entre les taux américains à 2 ans et 10 ans est au plus haut depuis 2017, tiré par le 10 ans qui a pris près de 30 points de base en moins de 10 jours, lissant au passage les taux réels — ce qu’il faudra donc surveiller par rapport à l’appétit pour les actions (baisse de l’effet TINA ?).

C’est la faiblesse des taux réels qui est en grande partie à l’origine du puissant rallye sur les marchés actions depuis des mois, donc si ces taux se redressent un peu trop rapidement, cela pourrait générer un peu de stress pour des marchés actions déjà très bien valorisés.

Perspectives 2021

Effet potentiel de la hausse des matières premières et des perspectives de vaccination de masse, plusieurs déclarations ont récemment été faites par certains membres du FOMC, dont Bostic et Kaplan, sur la question du timing de ralentissement des achats d’actifs de la Fed actuellement à 120 milliards de dollars par mois.

La question des taux négatifs s’éloigne donc encore un peu plus aux Etats-Unis et en Europe nous observons également un « bottom » sur le taux 10 ans allemand qui s’est formé au cours des derniers mois, laissant plutôt anticiper une poursuite du redressement qu’un risque de rechute majeure.

Nous pourrions quand même assister à une phase de consolidation sur les matières premières à court terme (avant la poursuite du rallye) après la forte phase de hausse des mois précédents qui a déjà bien anticipé la reprise économique, notamment après les annonces de vaccins en novembre. Les pressions économiques restent fortes à court terme en raison de l’épidémie qui ne faiblit pas en Europe et aux Etats-Unis.

Alexandre Baradez - IG France

Responsable Analyses Marchés

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