Marchés financiers : un déconfinement loin d’enchanter

Asset Management - Le déconfinement annonce le retour de l'activité, mais pas le rebond en « V » que certains investisseurs espéraient. Comment s'adapter à une crise économique au long cours ? Karamo Kaba, Directeur des études économiques chez Ecofi Investissements, partage son analyse.

Après deux mois de fermeture, le déconfinement de l’économie semble avoir ravi tout le monde, à l’exception peut-être des investisseurs. Après avoir joué le scénario d’un rebond en « V », les investisseurs commencent à se rendre compte qu’il va falloir s’armer de beaucoup de patience avant un retour à la normale. Les dégâts sur l’économie s’annoncent dramatiques pour l’emploi.

Aux États-Unis, le nombre de demandeurs d’emploi continue d’augmenter (+2,981 millions de personnes sur la semaine), ce qui porte à près de 36,5 millions le nombre de demandeurs d’emploi depuis le 21 mars — soit près d’1/4 de la population active. Sans atteindre la brutalité des chiffres américains, la situation se dégrade également en Europe comme en témoigne la longue liste d’entreprises en redressement judiciaire. La France compte – en autres – La Halle, Alinéa, Naf-Naf, André…

Vers une crise à long terme

Dans ces conditions, la prise en compte du caractère durable de la crise, rappelé par Jerome Powell le patron de la Réserve Fédérale (Fed), a conduit les investisseurs à prendre leurs bénéfices (- 2,65 % pour le Dow Jones, à 23 685 points ; – 4,79 % pour l’Euro Stoxx 50 à 2 767 points). La gravité annoncée ne devrait pas conduire la Fed à recourir à des taux d’intérêt négatifs en dépit des appels insistants du Président Trump. Rien ne presse pour l’institution monétaire américaine à abaisser de nouveau ses benchmarks — même si l’inflation, en recul de 0,8 % sur un mois en avril — a donné quelques sueurs froides.

Indépendamment de ce plus fort recul des prix depuis le mois de décembre 2008, les investisseurs ont dû subir d’autres statistiques particulièrement éprouvantes comme le plongeon de la production industrielle (11,2 % en avril après un recul de 4,5 % en mars). Cela s’est traduit par une surperformance des maturités les plus longues (- 7 points de base à 1,28 % pour le taux à 20 ans) au détriment des échéances les plus courtes (+1 pdb à 0,12 % pour le taux à 3 mois).

Sous-performance de l’Europe

L’Europe a également sous-performé, notamment après l’apparition de lignes de faille suite à la décision de la Cour constitutionnelle allemande. La perspective de voir le « bazooka » de la Banque centrale européenne (BCE) bridé par l’absence de la Bundesbank a pesé sur les rendements des titres italiens (+ 7 points de base à 1,88 % pour le taux à 10 ans). Cela aurait dû peser également sur les rendements de l’Espagne et du Portugal qui se sont étonnamment bien comportés.

La situation de l’Italie peut aussi s’expliquer par la crainte d’une récession plus profonde malgré l’adoption du nouveau plan de relance « Decreto Rilancio » d’une enveloppe de 55 milliards d’euros à destination des ménages et des entreprises. Ce plan s’ajouterait aux 16 Mds d’euros du plan « Cura Italia ». L’apport de ces aides, pesant pour 4,5 % du PIB italien, ne semble pas convaincre les investisseurs qui redoutent une dégradation de la notation souveraine du pays.

L’euro déprécié face au dollar

Sur la scène des changes, la lutte entre la Cour de Karlsruhe et la Cour de justice européenne (CJUE) n’a pas profité à l’euro (- 0,22 % sur la semaine à 1,082 contre le dollar). La dépréciation de l’euro pourrait même prendre des proportions plus importantes si cette décision de la Cour constitutionnelle allemande devait conduire la BCE à remettre en cause les mesures prises depuis mars 2015.

L’argument de la CJUE selon lequel il y a une primauté du droit communautaire sur les droits nationaux risque de provoquer des excès de colère en Allemagne. La situation ne devrait pas rester ainsi, ce qui risque de faire réapparaître des lignes de faille et impacter fortement la zone euro. Ce contexte a profité au dollar (+ 0,67 % à 100,377 pour son taux de change effectif) soutenu par la hausse de l’aversion pour le risque (+ 3,91 % à 31,89 points).

Karamo Kaba

Directeur des études économiques

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