Marchés financiers : toujours plus haut

Asset Management - Malgré la grisaille de la crise économique et sanitaire, les marchés demeurent optimistes. Quels événements soutiennent cette « exubérance irrationnelle » de la bourse ? La décorrélation vis-à-vis de l'économie réelle va-t-elle se poursuivre sur le long terme ? Le point avec Karamo Kaba, Directeur de la recherche économique chez Ecofi.

Alors que le moral des ménages — mesuré par le Conference Board — s’effondre ( -5,3 points, à 96,1 en novembre), les marchés financiers sont en pleine euphorie, en passe d’enregistrer la meilleure performance mensuelle depuis 1987. Symbole de cette « exubérance irrationnelle », l’indice Dow Jones a dépassé pour la première fois le seuil psychologique des 30 000 points.

USA, vers la relance budgétaire ?

Pourtant, même si les bonnes nouvelles se multiplient quant à la possibilité d’avoir un vaccin efficace à très court terme, la propagation exponentielle du virus prend des tournures inquiétantes. Politique de l’autruche ou pas, les investisseurs sont persuadés d’une fin rapide de la crise sanitaire. Ils sont également persuadés d’une relance budgétaire massive, surtout si la nomination attendue de Janet Yellen au poste de secrétaire au Trésor se confirme.

L’ancienne présidente de la Réserve fédérale (Fed) — très appréciée par les démocrates et certains républicains — s’est toujours prononcée en faveur d’une relance budgétaire significative afin de soutenir l’économie et l’emploi sans se soucier de l’inflation. Cette nomination peut être interprétée comme un gage donné par le Président-élu Joe Biden à l’aile la plus radicale du parti démocrate sur sa volonté de respecter ses engagements de campagne. Cela dépendra avant tout du résultat des deux élections sénatoriales du 5 janvier prochain en Géorgie.

Mais même dans le cas où le parti républicain garderait le contrôle du Sénat, les investisseurs s’attendent à ce que le Trésor et la Fed parlent d’une même voix. Il faut dire que, récemment, le fossé s’est creusé entre Jerome Powell — qui appelle à davantage de soutien budgétaire — et Steven Mnuchin — qui souhaite mettre fin au programme d’aides « Main Street Lending Program » destiné aux PME.

Europe, une situation délicate

La bonne séquence des places américaines (Dow Jones : + 2,2 %, à 29 910 points) a aidé à la prise de risques. Les indices européens (EuroStoxx 50 : + 2 %, à 3 536 points) se sont une nouvelle fois bien comportés, aidés par les allègements en cours des mesures de confinement dans plusieurs pays importants. Cela a permis au pétrole (+ 8 % pour le WTI, à 45,53 dollars ; + 7,2 % pour le Brent, à 48,18 dollars) d’enregistrer d’importants gains, signalant une amélioration à venir de l’activité du secteur privé.

La situation européenne devrait toutefois demeurer délicate à court terme. Malgré l’annonce d’un vaccin par plusieurs majors pharmaceutiques, l’indice PMI composite est ressorti en zone de contraction (- 4,9 points, à 45,1 en novembre, soit un plus bas de 6 mois) alors qu’il a progressé aux Etats-Unis (+ 1,6 point, à 57,9 en novembre).

La baisse des indicateurs d’activité en Europe, également perceptible dans le plongeon de l’indice du sentiment économique de la Commission européenne (- 3,5 points, à 87,6 en novembre), s’explique principalement par la morosité dans le secteur des services liés à l’hôtellerie-restauration, à la construction et aux loisirs. Alors qu’aucun pays n’est épargné par la grisaille, c’est en Italie que la confiance s’est le plus détériorée : – 8,7 points, à 81,5 en novembre, à comparer avec des baisses de 4,8 points en France et 2,8 points en Allemagne.

Optimisme des investisseurs

Cela n’a pas eu l’air de préoccuper les investisseurs sur les marchés obligataires, rassurés par le vaccin. Le taux à 10 ans de l’Etat italien a reculé sur la semaine (- 4 points de base, à 0,56 %) et celui du Portugal est passé en territoire négatif pour la première fois de son histoire. Les taux longs américains sont restés stables par rapport à la semaine précédente suite au début d’une transition pacifique aux Etats-Unis.

Sur la scène des changes, l’arrivée de Janet Yellen est perçue comme une poursuite du déficit public, en dépit du niveau élevé du déficit actuel (- 4,6 % du PIB) et de la dette (106,9 % du PIB). La perspective d’un nouveau plan de relance important conduit à alléger les positions en dollar. Le billet vert en a souffert, accumulant des pertes contre la plupart des devises (- 0,7 %, à 91,744 points).

L’euro (+ 0,94 % sur la semaine) en a profité pour se rapprocher du seuil de 1,20 dollar avec l’amélioration des données sanitaires. Même la livre (+0,28%, à 1,33255 dollar) a enregistré des gains contre le billet vert en dépit d’absence d’accord sur le Brexit. La reprise des discussions entre Michel Barnier et David Frost devrait permettre d’avancer sur les points qui bloquent comme la concurrence, la future gouvernance et la pêche.

Karamo Kaba

Directeur des études économiques

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