Marchés financiers : ombres politiques

Asset Management - La vague populiste en Occident serait-elle en train de perdre de sa force ? En France, le haut niveau de l’abstention révèle surtout une « société de défiance », qui pèse sur l'économie. Pendant ce temps-là, la campagne électorale se poursuit en Allemagne. Les explications d'Hervé Goulletquer, stratégiste chez LBPAM.

Observer l’écart de taux à 10 ans entre la France et l’Allemagne en début de semaine pouvait laisser entrevoir une sorte de soulagement au sein de la communauté financière. Le Rassemblement National a perdu du poids politique (son poids relatif dans les votes exprimés) et ne devrait pas prendre le contrôle de régions.

Fort de ce qui n’est pas encore tout à fait un double constat, mais attendons le deuxième tour dimanche prochain, pourquoi ne pas se prendre à espérer que la vague populiste serait en recul au niveau mondial ? 

L’Europe en filigrane

Le cas français apparaissant alors comme une confirmation. Donald Trump et dorénavant Benyamin Netanyahu sont partis et les leaders hongrois, polonais et slovène sont davantage à la peine. En Italie, la Ligue et 5 Etoiles n’ont pas le « vent en poupe » et paraissent pour le moment bien « corsetés » au sein du gouvernement par l’autorité du Premier ministre Mario Draghi — notons à rebours que Fratelli d’Italia prospère plutôt dans l’opposition.

Dans ces conditions, Boris Johnson, qui se porte bien politiquement, apparaîtrait comme « l’exception qui confirme la règle ». Comme il est tentant alors d’inscrire le parti de Marine Le Pen sur cette trajectoire ! Les perspectives s’assombriraient et les Français pourraient échapper l’année prochaine, au moment de l’élection présidentielle — au choix entre un candidat assurément « républicain » et un autre que nous soupçonnerions de ne pas l’être vraiment, ou pas suffisamment. 

D’où le soulagement sur les marchés financiers. La France ne viendrait pas entraver le double effort vers une Europe plus intégrée et vers davantage de connivence entre les deux côtés de l’Atlantique. Le tout laissant entendre que les pratiques budgétaires ne sortiraient pas du cadre d’un « nouveau raisonnable ».

Marchés financiers : ombres politiques

Défaite en trompe l’œil ?

Comment ne pas trouver que le raisonnement est un peu court ? Le mauvais résultat du Rassemblement National est corrélé au niveau très élevé de l’abstention. Celui-ci atteint les deux tiers, avec une surreprésentation, au nombre de ceux qui ont préféré aller « pêcher à la ligne », des électeurs autrefois appelés frontistes. 

Le « lâche soulagement » ressenti parce qu’aucune responsabilité importante n’est confiée au parti de Marine Le Pen ne doit pas masquer l’essentiel : une participation devenue tout à fait minoritaire. Comment guider un pays sur la voie du changement et des réformes (il y en a beaucoup à mener), si les dirigeants politiques n’ont reçu qu’un mandat étriqué ? Au minimum, cela ne les aide pas.

Il est peut-être possible de se rassurer en pointant les défaillances de l’offre politique : d’une double élection à des messages mêlant les enjeux locaux et nationaux, en passant par un nombre important de candidats qui amoindrissait la capacité de choisir. En revanche, il ne paraît pas envisageable de mettre en avant des électeurs perturbés par ce moment si particulier de la sortie de l’épidémie. Les récentes élections locales en Allemagne et en Italie n’ont pas buté sur ce type d’obstacle.

Une question de confiance

Tous ces éléments pris en compte, nous n’échappons pas à pointer une vérité présente depuis déjà longtemps : ce mélange au cœur de la société française, fait de méfiance, de repli individualiste et de fort sentiment d’injustice (Cf. le livre publié il-y-a près de dix ans par Algan, Cahuc et Zylberberg, La Fabrique de la Défiance). Les raisons en sont connues : pour beaucoup un fonctionnement hiérarchique et élitiste, qui caractérise la société française de l’école à l’Etat en passant par les entreprises, et une logique corporatiste. 

Tant et si bien qu’une contestation sociale, en provenance de la partie de la population française qui se sent délaissée et en insécurité, s’impose dans le paysage sociétal et politique à côté de la contestation idéologique plus traditionnelle. Les organisations situées aux franges du panorama politique veulent canaliser cette double contestation. Mais avec in fine des pondérations qui apparaissent différentes : relativement plus d’idéologie à « l’extrême-gauche » (mais aussi en dehors du champ politique traditionnel) et relativement plus de social à « l’extrême-droite ».

Cette défiance/méfiance fondamentale, amplifiée par les relais politiques qu’elle trouve, peut trouver un écho, mais en contre-point, dans les analyses de John Kenneth Arrow — prix Nobel d’économie en 1972 — pour qui la confiance est le facteur primordial de la croissance. Peut-être pourrions-nous ajouter, en forme de bémol, que c’est assurément une condition nécessaire, à défaut d’être suffisante.

Allemange, cinq points à retenir

Si la France a envoyé un message de défiance/méfiance lors du premier tour des élections régionale et départementale, tenu dimanche dernier, alors ne faisons pas de contresens sur ses implications économiques et financières. Elles ne sont pas bonnes et ne peuvent justifier une réduction de l’écart de taux longs avec l’Allemagne.

Si l’environnement sociétal, disons-le comme cela, pèse négativement sur la politique et au-delà l’économie française, la situation est différente en Allemagne, avec une offre politique pas toujours à la hauteur des enjeux. La présentation en début de semaine du programme de la Démocratie chrétienne en est une illustration. Elle tient en cinq points d’importance semble-t-il décroissante :

  • en politique étrangère, l’Europe doit travailler avec les Etats-Unis d’abord et les autres démocraties autour du monde ensuite pour renforcer un système international fonctionnant à partir de règles définies et appliquées. Le propos est raisonnable. La déclinaison ira-t-elle jusqu’à distendre le commerce avec la Chine, voire la Russie, pour non-respect de ce principe ? De récents propose d’Armin Laschet, le candidat à la Chancellerie, en font douter ;
  • les accords de Paris doivent être appliqués, mais dans le cadre du bon fonctionnement de l’économie ! On ne peut interdire les moteurs diésels, ni limiter la vitesse sur les autoroutes. Il faut travailler sur d’autres types de carburant ; avant tout l’hydrogène ;
  • la digitalisation de la Société doit permettre de réduire la bureaucratie et son inefficacité ;
  • les impôts ne doivent pas augmenter. Il faut revenir aux fondements de l’économie sociale de marché, qui ne sont pas ceux de la redistribution socialiste : plus de liberté et moins de régulation ;
  • il faut revenir à la règle de l’équilibre budgétaire et réactiver l’amendement constitutionnel du Schwarze Null. Par ailleurs le plan de relance européen, EU Next Generation Programme, n’a pas à être pérennisé.

Tout ceci sent bon les propos d’estrade à destination de sa base électorale. Dans la perspective de la constitution d’une coalition au lendemain des élections législatives de septembre prochain, cela n’aide pas vraiment à s’entendre avec le SPD ou les Verts ; davantage avec les Libéraux. Mais CDU/CSU et FDP ont peu de chances d’avoir à eux deux une majorité au Bundestag.