Marchés financiers : l’opium des banques centrales

Asset Management - Les marchés financiers poursuivent leur hausse, portés par les politiques monétaires accommodantes des banques centrales. L'abondance de liquidités fournies par les banquiers centraux va-t-elle s'inscrire dans une perspective durable, en dépit de l'inflation ? Le point avec Karamo Kaba, Directeur de recherche économique chez Ecofi.

Alors que le nombre de personnes vaccinées ne cesse d’augmenter, le variant Delta de la Covid-19 commence à semer le doute. Nous avons ainsi vu la situation épidémiologique se détériorer dans des pays proches du seuil de l’immunité collective, ce qui pourrait contraindre les Etats, à l’image du Portugal, à réimposer des mesures de confinement plus ou moins strictes.

La question de l’emploi américain

Cette incertitude n’a pas eu l’air de préoccuper tant que cela les investisseurs, obnubilés par les chiffres de l’emploi américain. Et cette fois-ci, il n’y a pas eu de mauvaise surprise puisque, en plus de la hausse de 15 000 postes le mois précédent, les créations (+850 000 en juin) sont ressorties au-dessus des attentes du consensus (+720 000). Le rapport a ainsi montré que le marché du travail se situait encore à 6,8 millions (ou 4,4 %), en deçà de son niveau d’avant crise, et que la qualité de l’emploi s’était dégradée (+408 000 postes à temps partiel).

La Fed ne peut ignorer ces faits, surtout que plusieurs indicateurs envoient des signaux contradictoires du marché du travail. D’un côté, le nombre de postes vacants est au plus haut historique, à 9,3 millions en avril. De l’autre, selon la National Federation of Independent Business (NFIB) qui mesure le moral des patrons de PME, près de la moitié d’entre eux (48 % en mai) ont affirmé avoir eu du mal à combler un ou plusieurs postes vacants. Résultat, les employeurs n’hésitent plus à mettre la main à la poche, ce qui explique le bond du taux de salaire horaire (+3,6 % sur un an en juin après +1,9 % en mai).

Bonne progression des marchés

Dans la mesure où cette accélération du rythme de créations de postes ne devrait pas suffire pour que la Réserve fédérale (Fed) commence à durcir sa politique monétaire, la bonne progression des marchés boursiers s’est poursuivie. Les indices américains ont ainsi atteint de nouveaux records (+0,9 %, à 34 756 points pour le Dow Jones), surperformant largement leurs comparables européens (-0,8 %, à 4 087 points pour l’EuroStoxx 50), handicapés par la recrudescence des cas de variant Delta.

Pourtant, les enquêtes économiques restent très encourageantes sur le Vieux Continent. L’indice du sentiment économique publié par la Commission européenne est ressorti très au-delà des attentes du consensus, passant de 114,5 points en mai à 117,9 points en juin. Il faut dire que la levée progressive des mesures sanitaires et l’accélération de la campagne de vaccination dopent la confiance en Allemagne (de 112,2 à 117,2 points, record historique), en France (de 110,9 à 112,2 points) et en Italie (de 115,8 à 117,9 points).

Recul des rendements obligataires

De façon contre intuitive, cet optimisme accru s’est traduit par un recul des rendements obligataires, à l’image du Bund allemand (-8 points de base – pbs – à -0,2390 % pour le 10 ans) ou du T-Bond américain (-9 pbs, à 1,4306 % pour le 10 ans). Le reflux des emprunts d’Etat a été encore plus important pour le taux à 10 ans en France (-11 pbs, à 0,0890 % ), en Espagne (-11 pbs, à 0,3740 % ), au Portugal (-10 pbs, à 0,3640 %) et en Italie (-15 pbs, à 0,7710 %).

Cette sérénité des investisseurs peut s’expliquer par le sentiment que la Fed, avec 9,3 millions de chômeurs en juin, ne se précipitera pas pour normaliser sa politique monétaire. Dans ces conditions, la plupart des autres banques centrales, dont la Banque centrale européenne (BCE), lui emboiteront le pas. Autrement dit, la liquidité à bon compte fournie par les banquiers centraux n’est pas prête de s’estomper, en dépit de l’accélération des prix.

Matières premières et énergies

Le secteur de l’énergie ne semble pas connaître de répit, avec le pétrole qui s’installe au-dessus du seuil de 75 dollars le baril, suite à l’opposition de l’Arabie saoudite d’un relèvement de l’offre des 13 pays membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP). Même l’accord obtenu avec l’insistance de la Russie lors de la réunion de l’OPEP+, qui verrait la production de pétrole augmenter de 400 000 barils par mois pour atteindre 2 millions de barils par jour en décembre, risque de ne pas suffire pour combler la demande.

Les prix de l’or noir, au plus haut depuis 2 ans et demi, devraient poursuivre leur tendance haussière, ce qui devrait pousser certains Etats à ne pas respecter l’accord. D’ailleurs, les Émirats arabes unis, désireux d’augmenter leur production de pétrole, n’ont pas tardé à dénoncer cet accord. D’autres, plus fragiles financièrement, vont passer de la parole aux actes.

Karamo Kaba

Directeur des études économiques

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