Marchés financiers : entre enthousiasme et raison

Asset Management - Entre vaccin potentiel contre la Covid-19 et reprise économique, les marchés regardent avec optimisme vers 2021. Quelles précautions les investisseurs doivent-ils néanmoins prendre ? Quelle conjoncture se dessine aux Etats-Unis ? Les explications d'Hervé Goulletquer, stratégiste chez La Banque Postale Asset Management (LBPAM).

Bien sûr, il y a la perspective du vaccin ; mais il ne faut pas oublier des prévisions économiques qui reprennent des couleurs et les parlementaires américains qui se remettent à parler d’un plan de soutien/relance sur lequel tomber d’accord à brève échéance. Attention pourtant à ne pas jouer de trop à Perrette et son pot au lait.

La dispersion des performances économiques risquent d’être large au cours des trimestres qui s’ouvrent devant ; l’investisseur devra savoir « où mettre les pieds ». Et puis, le « jeu » politique aux Etats-Unis réduit la probabilité d’un accord budgétaire imminent. Enfin, il faut rester attentif aux signes d’une conjoncture américaine qui s’essouffle.

Optimisme sur les marchés…

Au nombre de toutes les raisons qui justifient l’optimisme qui s’est emparé des marchés, il y a cette impression que l’économie mondiale se positionne sur une trajectoire plus favorable ; largement dans le sillage de vaccins bientôt disponibles, bien sûr ! Les toutes récentes projections économiques de l’OCDE (publiées avant-hier) en attestent.

La baisse du PIB sera cette année moins  marquée que redoutée : – 4,2 %, contre les – 6,0 % à – 7,6 %, proposés en juin dernier en fonction d’une hypothèse plus ou moins pessimiste en matière d’évolution de l’épidémie. Mieux encore, des progressions de respectivement + 4,2 % et + 3,7 % sont attendus pour 2021 et 2022. N’est-ce pas cohérent avec un monde qui se débarrasserait du virus, au moins dans une large mesure ?

…par anticipation du rebond

Je me demande pourtant si, au sortir de cette crise sanitaire, les écarts à la moyenne ne valent pas au moins autant (une façon de dire qu’ils valent sans doute plus !) que celle-ci. En fait, que l’on raisonne au niveau des pays ou des secteurs, la façon de traverser à la fois la période de pandémie et celle de reflux est très différente d’un cas à l‘autre.

Et il n’est pas toujours possible de dire que l’ampleur du rebond attendu se mesurera à l’aune de la chute encaissée. Tant et si bien que mesurées sur deux ans (du T4 2019 au T4 2021), les performances sont très différentes. Au niveau des pays, c’est assez bien renseigné. Le graphique ci-dessous, repris à l’OCDE, en atteste.

Sur la période, le PIB mondial progresserait de 0,6 %, avec la Chine à + 9,7 %, les Etats-Unis à + 0,8 %, l’Allemagne à – 1,7 % et l’Italie à – 3,9 %. L’analyse a été poussée à un niveau moins fin pour ce qui est de la dynamique sectorielle. Mais il est à craindre que les écarts de performance soient aussi très marqués, sans doute plus. Tech vs. Loisir et voyage, par exemple. 

USA, un accord budgétaire…

Restons sur les sujets qui participent de l’optimisme du marché et qu’il faudrait pourtant prendre avec « un peu plus de pincettes ». Je veux parler de ce retour de l’idée qu’un accord budgétaire entre républicains et démocrates au Congrès américain serait possible à très brève échéance.

Ne s’agit-il  pas d’un facilitateur de cette reprise entrevue par les investisseurs et les opérateurs ? Le projet est porté par un groupe de cinquante représentants, en provenance des deux ailes de la Chambre. Le montant proposé (908 milliards d’USD) est raisonnable et inclut des aides aux chômeurs et aux collectivités territoriales.

Disons que le contenu rencontre un écho auprès des élus démocrates et le montant, auprès des républicains. Ajoutons que le Président élu ne ferme pas la porte au texte, en parlant d’un à-valoir sur les mesures que son Administration proposera lorsqu’elle sera aux commandes du pays.

…impossible à brève échéance ?

J’ai l’impression toutefois que deux obstacles sérieux obstruent la route conduisant à la signature rapide d’un texte. D’abord, il ne reste qu’une dizaine de jours « utiles » pour créer le compromis ; cela paraît court. Ensuite, l’élection sénatoriale du 5 janvier en Géorgie est un enjeu majeur pour chacun des deux camps. Elle déterminera la majorité à la Chambre haute pour au moins les deux ans qui viennent.

Si celle-ci doit rester entre les mains des Républicains, pourquoi voter Hic et Nunc un texte au contenu pas très en ligne avec les convictions du Parti ? Si elle bascule côté démocrate, pourquoi  diluer maintenant le message politique qu’un beaucoup plus vaste plan de soutien/relance enverra ? Bref, il n’est pas de bonne politique de s’opposer aux bonnes volontés qui viennent de se manifester. Mais faire aboutir un dossier pas très bien aligné avec les enjeux de part et d’autre présente peut-être plus d’inconvénients que d’avantages. Il est probablement urgent d’attendre.

L’appel à la patience est assurément le message envoyé par les sondages portant sur la double élection sénatoriale en Géorgie. Ceux-ci sont très serrés. La traduction en termes d’équilibre des pouvoirs est que le Parti républicain garde l’avantage en matière de capacité à conserver la majorité au Sénat (il lui suffit de gagner un des deux scrutins), mais que les Démocrates peuvent encore espérer « renverser la mise », même si l’exercice est compliqué.

De la nécessité d’un plan de soutien

Finissons par quelques éléments de conjoncture. Alors qu’aux Etats-Unis le nombre de nouveaux cas de Covid-19 se maintient à un haut niveau (au-delà de 150 000 par jour) et que les mesures de restriction augmentent, on guette les signes de ralentissement de l’activité. Les enquêtes de conjoncture de novembre ne l’ont pas montré. D’autres indicateurs pointent un tempo moins favorable.

Ainsi les ventes de voitures ont-elles baissé sensiblement (15,55 millions en donnée annualisée après 16,21 millions en octobre) et l’emploi privé a progressé à un rythme plus lent (307 300 après 403 900). De quoi suggérer qu’un plan de soutien serait le bienvenu, puisqu’un ralentissement, très certainement uniquement ponctuel, paraît inévitable. Mais la politique a ses raisons que l’économie n’arrive pas à imposer ; au moins pas toujours avec le bon calendrier !