Les banques centrales peuvent-elles conserver leur indépendance ?

Asset Management - L’indépendance des banques centrales fait figure de condition préalable à la réussite de la politique monétaire. Mais face aux difficultés économiques de ces 10 dernières années et à l’inflation qui n’est plus considérée comme un problème, cette opinion ne fait plus l’unanimité. Stewart Robertson, économiste senior chez Aviva Investors, partage son analyse.

Dans les années 1980, les gouvernements du monde entier ont accordé aux banques centrales un plus grand contrôle sur la politique monétaire, afin de remédier à l’inflation galopante qui avait frappé leurs économies la décennie précédente. L’incapacité des politiciens à maintenir la discipline monétaire était considérée comme l’une des causes majeures de la perte de contrôle de l’inflation.

Au cours des 30 années suivantes, la réputation des banques centrales auprès des décideurs politiques s’est progressivement améliorée à travers le monde. Le renforcement de l’indépendance a permis une inflation faible et stable, et une dynamique de croissance et d’emploi satisfaisants. Cette période est connue sous le nom de Grande Modération.

Mais depuis 2008, les critiques ont fait leur apparition. Les observateurs ont d’abord ciblé l’incapacité des banques centrales à anticiper la crise, puis leur rôle dans le sauvetage des banques au détriment des contribuables. Les banques centrales ont été largement accusées d’être incapables de stimuler la croissance économique au cours de la dernière décennie.

Manœuvre dilatoire

Pour certains critiques, l’adoption par les banques centrales d’un « assouplissement quantitatif » était une réponse erronée aux problèmes des dernières années pour deux raisons. D’abord parce qu’il ne s’agit que d’une méthode indirecte, qui consiste à injecter des liquidités dans l’économie, et qui agit avec un décalage temporel. Ensuite, parce que ces injections créent de faux effets de richesse.

Les banques centrales ont ainsi été accusées non seulement d’adopter des mesures sous-optimales, mais aussi de mener une politique extrêmement lourde en termes de conséquences sociétales.

De l’inflation à la déflation

Dans les années 1970, l’inflation était le principal ennemi. C’est aujourd’hui l’inverse : la déflation menace — ou du moins une trop faible inflation — l’endettement excessif et la faiblesse de la croissance économique.

Les banques centrales indépendantes peuvent lutter contre l’inflation tant qu’elles restent crédibles. Cependant, la politique monétaire s’est avérée bien moins efficace pour lutter contre la déflation. Cela vient en partie du problème du plancher qui limite les taux à zéro.

Vers un nouvel assouplissement quantitatif ?

La tendance pourrait s’orienter vers une plus grande implication politique dans les activités des banques centrales. Les appels à l’intervention des gouvernements devraient s’intensifier lors de la prochaine récession.

Les taux d’intérêt devraient être proches des récents plus bas historiques au moment où cela se produira. Les banques centrales pourraient être contraintes d’adopter un nouvel assouplissement quantitatif. Compte tenu des critiques proférées à l’encontre de cette pratique, il est légitime de se demander si les politiciens n’estimeront pas que cette stratégie a atteint sa limite, en termes d’utilité et surtout de légitimité démocratique.

Pour résoudre le problème, il faudra peut-être envisager une plus grande coordination entre politiciens et banquiers centraux sur la politique budgétaire et monétaire. Les gouvernements pourraient par exemple s’assurer d’une distribution plus équitable des bénéfices des mesures de politique monétaire, selon les besoins des populations : sous forme d’augmentation des dépenses, de réductions d’impôts ou d’une combinaison des deux.

Au-delà de la crédibilité, rétablir la confiance

Pour rappel, la politique d’indépendance des banques centrales a débuté avec la nomination de Paul Volcker à la tête de la Fed en 1979. Elle faisait suite aux résultats très contrastés des banques centrales sur l’inflation au cours des années précédentes. A l’époque, Paul Volcker s’était montré ferme et avait finalement réussi à éradiquer l’inflation.

Compte tenu de cet historique, il semble improbable pour l’instant qu’une grande nation empêche une banque centrale de fixer les taux d’intérêt indépendamment du gouvernement. Cela ne constituerait pas seulement un dangereux précédent, mais aussi un risque de saper la crédibilité durement gagnée des banques centrales. Et en déstabilisant les marchés financiers, la mesure pourrait avoir l’effet inverse de celui escompté.

Bien qu’elle ne soit pas sans risque, une plus grande coordination de la politique monétaire et budgétaire serait probablement la meilleure solution. Dans ce cas, au lieu de saper la crédibilité des banques centrales, elle pourrait même restaurer la confiance du public.