Guerre commerciale : la Fed de Powell face au risque

Asset Management - Le mandat de Jay Powell a débuté de façon agitée. Les marchés d’actions ont plongé au cours de la première semaine de sa prise de fonction, puis après son premier rapport semestriel devant le Congrès et enfin le lendemain de sa conférence de presse, en réaction à l’annonce par les États-Unis de droits de douane sur les exportations chinoises.

Dans ce contexte volatile, Powell et les marchés ont cependant conclu une trêve provisoire la semaine dernière. Même si le FOMC a relevé son taux directeur de 25 points de base (pb), annoncé deux hausses supplémentaires cette année et relevé ses perspectives économiques, la tonalité d’ensemble de la réunion de mars a suggéré une Fed restant patiente et consciente du risque de baisse. Dans notre bulletin, nous soutenons l’idée que la barre est placée bien haut pour que la Fed puisse se montrer nettement plus agressive – ou nettement plus accommodante. Nous estimons également que les responsables de la politique monétaire sont vigilants sur l’émergence de risques tels qu’une politique commerciale américaine (U.S.) nettement plus agressive et qu’ils réagiront, si nécessaire, en infléchissant la trajectoire de leur politique. “L’option Powell” pourrait déjà exister.

 

Un éventail plus réduit de conséquences

Nous analysons le processus de décision du FOMC à travers le filtre d’un ensemble de thèmes régissant les opinions des participants. Deux de ces thèmes étaient incompatibles au cours de la majeure partie de la nouvelle période normale précédant 2016 (c’est à dire pré-reflationniste) : “Montrez-moi l’inflation”, un scénario accommodant dans lequel voir l’inflation, c’est y croire ; et “La politique monétaire est en retard”, un scénario “hawkish” qui suggérait que l’inflation allait évoluer hors de contrôle du fait des niveaux actuels de l’activité économique et de la politique accommodante en vigueur. La nouvelle période normale a été caractérisée par une inflation obstinément faible, conduisant à des dissensions entre les adeptes des deux thèmes et à une forte inertie des résultats de la politique monétaire.

Ensuite, le second semestre 2016 a vu les membres du FOMC se ranger en faveur d’un resserrement de la politique monétaire, les tendances inflationnistes commençant à se raffermir. En effet, un alignement des faucons et des colombes au sein du Comité a provoqué la succession de hausses de taux la plus rapide jamais observée ainsi que l’adoption d’un plan de normalisation du bilan. Aujourd’hui, l’alignement se poursuit, le contexte étant favorable aux hausses de taux suscitées par la poursuite de l’alignement de ces thèmes ; les développements concernant l’inflation sont le pilier de l’économie politique des hausses de taux. Au cours de la réunion de mars du FOMC — après une longue série de prévisions d’inflation décevantes des membres du FOMC (lorsque l’inflation n’a pas atteint l’objectif de la Fed) — les prévisions moyennes d’inflation core des membres du FOMC ont été révisées en hausse pour 2018, 2019 et 2020 .

Graphique : les révisions à la hausse des projections d’inflation core du FOMC inversent la tendance.

Les colombes découvrent l’inflation. La distribution des risques entourant les projections d’inflation renforcent l’intérêt porté aux conséquences de la politique monétaire. Nous pourrions argumenter que le risque à double face – qui va des surprises persistantes de faible inflation de ces dernières années à une reconstruction de la queue droite de la distribution alors que les pressions de fin de cycle montent – suggère que les responsables de la politique monétaire ne devraient pas s’aventurer trop loin de leur trajectoire projetée. En d’autres termes, nous considérons comme dotées d’une probabilité équivalente l’occurrence de cinq ou six hausses de taux cette année ou celle de seulement une ou deux. Il reste à déterminer si les risques à double sens pour les conditions financières, illustrés par la hausse de la volatilité du marché depuis février et exacerbés par la montée de l’incertitude planant sur la politique monétaire cette semaine, deviendront un sujet plus central dans les discussions sur la politique monétaire.

 

Réaction de la politique monétaire à la guerre économique

Un thème sous-jacent des débats sur la politique monétaire est, sans aucun doute, la perspective redoutée d’une politique commerciale américaine (U.S.) plus agressive. La récente série de droits de douane sur les importations d’acier aux États-Unis justifiée par des mesures de sécurité nationale (dans le cadre de l’article 232 de la loi U.S. sur le commerce) et celle sur les importations chinoises prétendument liée au transfert déloyal de la propriété intellectuelle (IP) intégrée dans les exportations chinoises (dans le cadre de l’article 301), représentent une évolution importante de la politique commerciale internationale des États-Unis. Non seulement ces justifications sont rares comme fondement de droits de douane imposés à titre de mesures de rétorsion, mais l’ampleur de ces droits est très inhabituelle.

Actuellement, des montées en flèche généralisées des droits de douane – pratiquement partout dans le monde – sont tout à fait inhabituelles. Selon nos calculs, chez tous les partenaires commerciaux et pour toutes les catégories de produits au sens large au cours de ces deux dernières décennies, environ 88 % des modifications des droits de douane d’une année sur l’autre ont évolué dans une fourchette comprise entre -5 et 5 points de pourcentage (pp), la majorité d’entre elles étant égales ou très proches de zéro ; 3,5 % étaient inférieures à -10pp, et seulement 2,5 % supérieures à 10pp et plus. Ceci signifie que d’importantes hausses de droits de douanes appliquées à de larges groupes de produits ou de partenaires commerciaux – comme dans le cas de l’acier et de la protection intellectuelle face à la Chine – constituent un important manquement aux normes internationales. Comment les responsables de la politique monétaire vont-ils réagir à une politique commerciale plus agressive ? Leur réponse devrait informer sur leur évaluation des risques pesant sur les perspectives, que le FOMC a caractérisé de “à peu près équilibrés” dans sa déclaration de mars.

Le fait que les risques restent équilibrés alors même que des menaces sur la politique commerciale ont émergé signifie, soit que le Comité prend largement en compte ces risques, soit que des risques de hausse compensatoires se sont développés. Par exemple, il est possible que la menace perturbatrice de droits de douane à l’importation soit compensée par des risques de hausse provenant de la mise en place de la nouvelle politique budgétaire. Il est également possible que les risques commerciaux eux-mêmes soient globalement à l’équilibre dans la mesure où la montée des droits de douanes serait compensée par des progrès timides dans les négociations du NAFTA. Des nouvelles selon lesquelles les États-Unis pourraient laisser tomber leurs exigences intérieures controversées du fait de la renégociation du NAFTA pourraient ouvrir la voie à la conclusion d’un accord dans le courant de cette année. Quel que soit le point d’équilibre trouvé, nous estimons que le risque de baisse dû aux mesures protectionnistes est pris en compte dans les calculs du FOMC.

 

Implications pour les classes d’actifs

En l’absence d’indice probant de ralentissement significatif de l’activité économique, que nous ne voyons pas émerger pour le moment c’est certain, nous maintenons notre approche favorable au risque dans nos portefeuilles multi-actifs. Le relèvement des perspectives de croissance des États-Unis par le FOMC, sans débordement du côté de l’inflation, suggère la poursuite d’un soutien fondamental aux bénéfices et à la solvabilité des entreprises. Cette analyse, similaire à la nôtre, est cohérente avec notre classement des États-Unis parmi nos meilleurs marchés d’actions et, dans le segment obligataire, avec le maintien de notre préférence pour le crédit par rapport aux obligations d’Etat. Dans la mesure où l’inflation aux États-Unis se situe à l’avant-garde des tendances de l’inflation mondiale, cette situation devrait conforter notre analyse selon laquelle les rendements obligataires aux États-Unis ouvrent la voie de la hausse des taux. La trajectoire progressive et raisonnablement balisée de la normalisation de la politique monétaire reste favorable aux actions et à la dette des marchés émergents. Certains des risques de baisse qui ont incité le FOMC à viser trois hausses cette année plutôt que quatre devraient davantage affecter la volatilité des performances des classes d’actifs que leur direction.

Au cours de notre Strategy Summit de mars, nous avons attiré l’attention sur le rôle de la hausse de la volatilité macro-économique à double sens (concernant à la fois l’activité réelle et l’inflation) comme importante contributrice à la récente progression de la volatilité du marché. Les points de retournement en matière de politique commerciale jouent également un rôle, non en ce qu’ils malmènent brutalement les résultats économiques mais plutôt parce qu’ils ajoutent de l’incertitude aux décisions économiques et provoquent une oscillation du sentiment sur le risque. Comme nous réfléchissons à la taille de nos positions dans nos portefeuilles multi-actifs, nous relevons que dans un monde marqué par une volatilité plus forte, elles ne nécessitent pas d’être aussi importantes pour atteindre nos objectifs de risque.