Gestion active obligataire : profiter durablement des opportunités

Asset Management - La crise sanitaire a profondément modifié les anticipations de début d’année sur les marchés financiers. Elle fut si soudaine et brutale qu’elle n’a fait, dans un premier temps, que très peu de distinction en termes de performances, affectant l’ensemble des classes d’actifs et des secteurs d’activité.

La diversification obligataire s’est avérée impuissante lors de cette première phase de baisse, avec un marché du crédit affaibli par le spectre du défaut de paiement. Cependant, les mesures d’urgence prises par les gouvernements des pays développés et la réactivité des banques centrales permettent d’ores et déjà d’analyser le marché du crédit avec un regard plus optimiste. Quels que soient les segments et à condition que le rebond actuel ne vienne pas en perturber l’analyse, que pouvons-nous donc attendre désormais des marchés obligataires ?

Panorama sectoriel…

Certaines entreprises ne sortiront pas indemnes de cette crise sanitaire qui entraînera de profondes modifications de leurs business models. De nombreux acteurs peineront à retrouver leurs niveaux d’activité d’avant la crise dans les secteurs des matières premières, de l’automobile et plus significativement encore ceux du tourisme et des loisirs…

Si les moins endettés, comme Accor — toujours Investment Grade au 10 avril 2020 — devraient traverser cette période grâce à toutes les mesures mises en place, d’autres émetteurs pourraient en souffrir. Le géant de la manutention aéroportuaire Swissport, détenu par le conglomérat chinois HNA, a d’ores et déjà mandaté des conseillers pour restructurer sa dette.

Les transports aériens seront également bouleversés. Si un soutien étatique ne fait plus aucun doute, les modalités de l’aide — prêts, restructurations de dettes, montées au capital des Etats — dépendront vraisemblablement de la durée d’arrêt des activités, qui reste encore une parfaite inconnue.

…à deux vitesses

D’autres secteurs seront à l’inverse peu impactés. La santé dans un premier temps, notamment les fabricants de médicaments (Sanofi, Teva, Mylan, Grifols, etc.) ou les fournisseurs de services et matériels médicaux (Thermofisher, Catalent, etc.) qui continuent de produire et de vendre à travers des canaux de distribution toujours actifs.

La distribution alimentaire, parmi lesquels les acteurs français (Carrefour, Casino, Picard, etc.) bénéficient aussi pleinement des changements d’habitudes de consommation en période de confinement avec des chiffres de vente en hausse, malgré des tensions ponctuelles sur les chaînes d’approvisionnement. Sont aussi bien positionnés les services aux collectivités ainsi que les entreprises engagées dans la transition énergétique. 

D’autres secteurs pourraient même en profiter, à commencer par l’industrie, internet et les télécommunications. Non seulement la demande de médias audiovisuels (Netflix, Banijay, etc.) est croissante, mais les fournisseurs d’accès (Orange, Altice, Liberty Global, etc.) proposent des services désormais indispensables, avec la généralisation du télétravail. Certains émetteurs ont même tiré avantage de la baisse pour racheter des dettes sur les marchés (Telenet).

Investisseurs à l’affût des opportunités

Investir aujourd’hui nécessite non seulement de prendre en compte l’impact immédiat de cette crise sur le bilan des émetteurs obligataires, mais également les changements structurels à venir. Aussi étonnant que cela puisse paraître, le géant des croisières Carnival a émis 4 milliards de dollars à 3 ans à 12 % de rendement en avril.

Même si la structure de cette opération est attractive — la valeur des navires en collatéral est de 28 milliards de dollars — , elle est surtout l’expression d’un intérêt fort des investisseurs pour les nouvelles émissions sur un marché primaire dynamique, toujours ouvert, qui offrent des primes parfois conséquentes.

Total, ADP ou encore Cap Gemini ont sécurisé des financements en obligations pour traverser cette crise. Le marché primaire du « high yield » s’est même rouvert aux Etats-Unis (Yum Brands, Ardagh, etc.) et en Zone Euro (Verisure, Netflix).

Garde-fous des banques centrales…

Les décisions récentes des banques centrales, en tête desquelles la FED, la BCE et la BoE (Banque d’Angleterre), de renforcer massivement leurs programmes d’achat d’actifs, ont offert une fenêtre de tir inespérée pour les nouvelles émissions. En zone euro, 870 milliards d’euros en 2020 viennent s’ajouter aux 20 milliards d’euros mensuels déployés par la banque centrale sur les marchés obligataires pour soutenir — outre la stabilité des prix — « les politiques économiques générales » dans la communauté, telles que les missions de la BCE le définissent. Le programme le plus important, le Pandemic Emergency Purchase Program (PEPP), s’exonère des précédentes limites et fait office de véritable « bazooka monétaire ».

Aujourd’hui, la baisse des marchés du mois de mars offre des points d’entrée très intéressants sur le marché du crédit. A commencer naturellement par la classe d’actifs « investment grade » (IG) qui semble avoir désormais acquis le statut d’outil de politique monétaire. Ce sont près de 5 milliards d’euros qui doivent être déployés par jour de Bourse en 2020 à travers le PEPP, dont une partie sur le crédit. Or malgré le rebond, l’IG est encore en baisse de 4,26 % en 2020. La baisse est encore plus prononcée sur les obligations les plus longues : – 5,88 % sur le segment 7 à 10 ans, plus risqué.

Quant à la classe d’actifs « high yield » (- 10,59 % en 2020), segment de marché des émetteurs les plus endettés, elle semble entrer dans une nouvelle ère. La FED a annoncé le 9 avril l’extension de son programme d’achats aux émetteurs BB récemment dégradés dans cette catégorie (Ford, par exemple) et aux ETF « high yield ». Un soutien de poids pour la classe d’actifs avec un signe fort envoyé au marché : la FED s’affranchit des règles des agences de notation pour soutenir les acteurs qui bénéficiaient d’une santé financière solide avant la crise.

…dont seule la gestion active peut profiter durablement

Les garde-fous instaurés par les banques centrales offrent désormais des garanties fortes aux investisseurs, quels que soient les segments du marché du crédit à condition de ne pas se dispenser de l’analyse fondamentale. Si les agences de notation considèrent que les défauts progresseront fortement en 2020 (entre 8 % et 10 % sur le « high yield »), ils seront largement concentrés sur les secteurs cités précédemment. 

A l’approche d’une saison de résultats cruciale, la gestion active permet donc de privilégier la sélectivité des investissements afin de profiter de cette opportunité historique qu’offrent les Etats et les banques centrales pour les émetteurs les moins exposés.

Guillaume Truttmann - Meeschaert AM

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