Finance Comportementale – Opus 3/3

Asset Management - Tout au long du mois d’août, Quantology Capital Management et Le Courrier Financier vous présentent trois ouvrages de référence dans le domaine de la Finance Comportementale. Premier opus : « Thinking. Fast and Slow » (en français : « Système 1 / Système 2 : Les deux vitesses de la Pensée ») de Daniel Kahneman, publié en 2011. Deuxième opus : « La Sagesse des Foules » de James Surowiecki, publié en 2004. Cette semaine, troisième opus : « Les Traders. Essai de sociologie des marchés financiers» d’Olivier Godechot, publié en 2005.

Les salles de marchés, un nouveau microcosme

Cette fresque sociologique d’une grande institution bancaire française réalisée à la fin des années 1990 est le premier ouvrage à analyser l’environnement des salles de marchés. Olivier Godechot s’évertue à démystifier cet univers, adulé par certains, vilipendé par d’autres.

La dictature de l’instantanéité, la recherche effrénée du profit, les ambitions carnassières, les comparaisons de voitures de luxe, l’importance des réseaux d’écoles : tout est dépeint avec justesse par l’auteur, sans bien-pensance, mais avec une neutralité magistrale.

Ceci permet de mieux comprendre les ressorts et mécanismes à l’origine des scandales à répétition (affaire Kerviel une dizaine d’années après, manipulation du LIBOR, etc.), l’opacité, les secrets et le sens — souvent imposé — du sacrifice.

Salles de marchés VS sociétés de gestion d’actifs – aliénation

Un autre intérêt de cet ouvrage est de montrer la différence entre les profils des acteurs œuvrant en salle des marchés et ceux agissant côté société de gestion / asset management. En moyenne les traders et autres opérateurs de marché sont plus jeunes, plus diplômés — avec des profils plus scientifiques issus des grandes écoles d’ingénieurs françaises — et aux origines plus diverses (sociale et culturelle) que leurs homologues de sociétés de gestion.

Chez ces derniers, la moyenne d’âge dépasse souvent les 40-45 ans, avec des parcours scolaires en général plus divers, mais une homogénéité forte en ce qui concerne les origines sociales, berceau du réseau qu’ils ont constitué, ce dernier leur ayant permis de créer leur société de gestion. Il suffit de constater la prééminence des dirigeants de sociétés de gestion issus de la banlieue ouest parisienne cossue pour s’en convaincre.

Parmi les premiers cités, la compétence — mathématique, statistique et informatique — et l’école dont on est issus sont les clés de la reconnaissance, alors que parmi les seconds, le réseau et l’entre soi sont le passeport du succès.

Origines sociales et techniques de gestion

Autre sujet abordé par Olivier Godechot : la correspondance entre les origines sociales et scolaires et les techniques de gestion utilisées. Il décompose ces dernières en trois catégories très cloisonnées :

  • tout d’abord, les financiers attachés aux analyses dites fondamentales sont pour le plus souvent issus des classes favorisées (lignée d’entrepreneurs, ou dynastie prestigieuse) et adoptent une vision traditionnelle du métier : étude des bilans, analyse stratégique, rencontre du management, etc ;
  • ensuite les professionnels qui se revendiquent adeptes d’une approche scientifique et quantitative — les « quants » — mettent en avant leur bagage mathématique, statistique et informatique pour mettre en place des stratégies dites « systématiques » basés sur des règles et des processus numériques dans lesquels l’humain n’est souvent que le concepteur en amont : c’est le règne des algorithmes et du code. Ces acteurs proviennent souvent d’écoles prestigieuses et tirent leur légitimité — au départ tout du moins — du fait d’être issus de ces dernières ;
  • enfin, les « chartistes » sont ceux qui tirent leurs décisions d’investissement des formes formées par les cours de bourse sur les écrans, ce qui est assimilé par l’auteur à un « savoir païen » (avec guillemets). Ils sont en général constitués par une population qui n’appartient pas aux deux premières catégories citées, à savoir plutôt par des acteurs qui n’ont pas le même cursus scolaire, ni le réseau nécessaire à l’entrée dans l’industrie.

C’est une façon de rendre accessible la finance à des personnes qui n’ont pas les a priori nécessaire : ceci explique le succès des chaînes de trading Youtube, qui s’adressent au plus grand nombre, sans aucun critère de formation préalable.

Pour conclure sur ces différences, il est important de noter que la mesure du succès au sein de chacun des univers varie : côté salle des marchés, le juge de paix est le sacro-saint « PnL » (Profit and Loss), à savoir le profit pur, alors que la mesure du succès dans l’industrie de la gestion d’actifs se rapporte bien plus à l’encours géré qu’aux performances obtenues.

Ainsi, Olivier Godechot s’inscrit-il comme le pionnier de l’intégration de la sociologie dans des environnements jusqu’à présent particulièrement hermétiques, alors qu’elle permet d’y expliquer tant d’événements.

Merci à tous les lecteurs qui nous ont suivi semaine après semaine. En espérant que cette initiation à trois ouvrages que nous considérons comme majeurs vous ait donné l’envie de creuser d’autres problématiques associées à la finance comportementale.

Julien Messias - Quantology Capital Management

Fondateur - Gérant de fonds

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