Élection présidentielle : état des lieux et décryptage

Asset Management - Les élections françaises représentent un sujet de préoccupation majeur pour les marchés financiers car elles sont emblématiques des tendances actuelles : montée des partis d’extrême droite (respectivement d’extrême gauche) dans les pays du noyau dur de l’UEM (respectivement des pays périphériques), rejet croissant de l’establishment, tentations protectionnistes, hostilité envers l’Europe et/ou les institutions européennes, lutte contre les inégalités, débat sur le partage de la valeur ajoutée (salariés vs. actionnaires...). L’élection d’un candidat anti-européen ou souhaitant réformer l’Europe ou sortir de l’UE en cas d’échec à la réformer (comme le prônent par exemple Marine le Pen ou Jean-Luc Mélenchon) est actuellement perçu (pas totalement à tort, en vérité) comme un vote dans la continuité du Brexit et de l’élection de Donald Trump aux États-Unis.

Ce n’est pas du tout notre scénario central, mais il nous semble néanmoins légitime que les primes de risque (spreads contre Allemagne, volatilité, CDS…) restent dégradées en attendant d’y voir plus clair. Rappelons également, et c’est très important, que les votes Brexit et élections américaines se déroulent sur un tour unique : celui qui est tête au premier tour est élu. Ce n’est pas du tout le cas des élections françaises, où le second tour est susceptible de rebattre radicalement les cartes. Le vainqueur du premier tour n’a aucune assurance d’être le vainqueur au second tour : le jeu des alliances et des reports de voix fait toujours la différence. L’un des objectifs de cette note est d’expliquer tout cela en détail, et de présenter les scénarios en présence.

Il y a actuellement plus de 50 personnes, qui de façon sérieuse ou un peu plus « fantaisiste », ont déclaré vouloir se présenter à l’élection présidentielle.

Mais cela n’est pas aussi simple, car chacun d’entre eux doit récolter les parrainages nécessaires. En effet, pour pouvoir se présenter, un candidat doit réunir 500 signatures d’élus provenant d’au moins 30 départements différents (avec 50 signatures maximum (10 % de signatures) par département). Seuls les élus peuvent apporter leur soutien à une candidature, c’est-à-dire les maires (NB : il y a 36 000 communes en France), les députés, les sénateurs, les parlementaires européens, les conseillers régionaux, les conseillers généraux, les membres de l’Assemblée corse et des Assemblées d’outre-mer. Au total, il y a donc potentiellement plus de 47 000 parrains. La liste des 500 soutiens devra être fournie le 17 mars, à 18 heures au plus tard. Comme pour chaque élection présidentielle, seule une douzaine de personnes seront des candidats officiels, certains n’obtenant pas les parrainages requis, d’autres se désistant au profit de candidats mieux placés.

Au total, seuls 5 candidats ont des chances d’obtenir plus de 10% des voix au premier tour des élections présidentielles : Marine Le Pen et François Fillon (dont la candidature est compliquée à ce jour) pour la droite, Benoît Hamon, Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon pour la gauche..

Pour les partis de droite, François Fillon et Marine Le Pen sont irréconciliables sur de nombreux sujets, et non des moindres, dont l’Europe, le protectionnisme, la politique d’immigration, et toute alliance pour un second tour des élections est impossible. Le cas de la gauche est encore plus complexe : avec trois candidats à ce jour plus deux autres candidats de l’ultra gauche, c’est le courant le plus fragmenté.

Il y aura cependant trois types de candidats majeurs, qui représentent trois voies relativement traditionnelles

• Les partisans du « grand soir », représentés par l’extrême gauche et prônant des changements radicaux. Ce courant est représenté par Jean-Luc Mélenchon, mais aussi par d’autres candidats comme Philippe Poutou ou Nathalie Arthaud ;

• Les partisans de l’État – providence, dont les mesures finissent rapidement par grever les grands équilibres financiers et budgétaires. C’était clairement le courant de François Mitterrand et de François Hollande, et c’est la voie également de Benoît Hamon pour les présidentielles de 2017 ;

• Les partisans de la compétitivité, à la fois des entreprises et des États. Ce courant a toujours existé et il a toujours été minoritaire depuis des décennies. Il est incarné aujourd’hui par Emmanuel Macron, qui fait penser au virage intellectuel du parti allemand SPD en 1959 qui considérait qu’il fallait « se fier au marché autant que possible, et à l’État autant que nécessaire ». Beaucoup d’électeurs de gauche, qui souhaitent au contraire un virage à gauche plus marqué de la part du parti socialiste, ne se reconnaissent pas dans ce courant qu’ils jugent, sous certains aspects, proche du programme de la droite conservatrice de François Fillon. Macron fait également penser à Tony Blair (ancien premier ministre britannique travailliste), qui considérait que « l’économie n’est ni de droite, ni de gauche… il y a simplement ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas ».

Au-delà de ces divergences et de ces clivages forts, il faut être clair : l’enjeu de toutes les élections européennes à venir (Pays-Bas, Italie, France, Allemagne) réside dans la pérennité de la construction européenne.

Parmi tous les candidats de l’élection française, seuls Marine Le Pen (Front National, à l’extrême-droite de l’échiquier national), et Jean-Luc Mélenchon (« La France Insoumise », à la gauche de l’échiquier national)) sont ouvertement hostiles à l’Europe ou plus exactement aux institutions européennes telles qu’elles sont organisées actuellement. Ces deux candidats déclarent vouloir quitter l’Union européenne s’il n’est pas possible de la modifier. Quant aux autres candidats, soit ils proviennent de partis ouvertement pro-européens comme François Fillon (Parti « les Républicains (droite conservatrice) ou Benoît Hamon (Parti socialiste, gauche « classique »), soit leur mouvement repose sur la volonté de participer à l’Union européenne (Emmanuel Macron, « En Marche !», mouvement de centre gauche et de centre droite depuis son association avec François Bayrou (MODEM)). Certes, les deux partis euro-sceptiques / anti-européens (tous deux partisans du « grand soir ») recueillent actuellement 40 % des intentions de vote (un peu moins de 30 % pour Marine Le Pen, un peu plus de 10 % pour Jean-Luc Mélenchon), mais leur association est totalement impossible.

Le risque de voir J.-L. Mélenchon élu est à ce jour beaucoup plus faible que le risque Le Pen, mais nous ne misons pas du tout sur l’un ou l’autre de ces scénarios. Il est cependant certain que l’arrivée au pouvoir du parti Front National (Marine Le Pen), aviverait le dossier Frexit (sortie de la France de l’Union européenne). Marine Le Pen fait en effet de la réforme de l’UE ou de la sortie de l’UE un de ses principaux chevaux de bataille : elle a clairement annoncé que si la France n’est pas capable d’infléchir à un horizon de 6 mois les positions de la BCE sur la politique économique, la politique d’immigration… elle procèdera alors, comme elle l’a promis, à un référendum sur la sortie de l’UE. Mais les Français sont-ils prêts à envoyer leur pays dans la voie de la sortie de l’UE ? On peut raisonnablement en douter. Nul doute que ce risque (le « Frexit ») va continuer d’impacter l’UE et plus spécialement l’UEM : fragilité de l’euro, écartement des spreads des pays périphériques (dont la France) contre Allemagne…

Nous ne croyons pas en un tel scénario de sortie de l’Europe ou d’élection de Mme Le Pen ; nous misons plutôt sur la possibilité d’un axe franco-allemand renforcé : en Allemagne, aussi bien Angela Merkel que Martin Schulz (précédemment président du Parlement européen) sont des européens convaincus, comme le sont également Emmanuel Macron et François Fillon en France, les deux candidats qui, à ce jour, ont le plus de chance d’accéder à la fonction suprême. Mais avant d’en arriver là, les marchés financiers devront faire face à trois situations critiques :

– En premier lieu, ils devront vivre avec la perspective de voir le parti d’extrême droite sortir en tête du premier tour des élections présidentielles. Si l’on se fie aux sondages, Marine Le Pen, à l’heure où nous écrivons, devancerait Emmanuel Macron (Mouvement « En Marche », gauche modérée), François Fillon (droite conservatrice) et Benoît Hamon (Parti socialiste), et Jean-Luc Mélenchon (Gauche) avec des scores respectifs de 26 %, 23,5 %, 20,5 %, 13 % et 11 % (sondage IFOP, 24 février 2017). D’après ce sondage, les intentions de vote pour l’ancien ministre de l’Économie (E. Macron) sont les plus « friables » : près d’un électeur sur deux déclarant vouloir voter pour lui était encore prêt à changer d’avis, un pourcentage bien au-delà de tous les autres candidats. Ce rapport est le même, tous candidats confondus, ce qui ajoute bien évidemment une autre zone d’incertitude. Rappelons que les sondages ne parviennent pas tous la même conclusion : par exemple, à la même date, le sondage « KANTAR SOFRES onepoint » indiquait que la sûreté du choix de vote au premier tour était similaire pour E. Macron et F. Fillon (seule Marine Le Pen obtenait un pourcentage bien plus fort).

– Ensuite, par le jeu des reports de voix, et selon les sondages actuels, encore une fois, les marchés financiers devraient vivre l’élimination de Marine Le Pen au second tour des élections présidentielles. Notons que par le jeu des reports de voix et du fait de la capacité des partis de droite de se désister pour les partis de gauche, et inversement, les électeurs français ont jusqu’ici éliminé l’extrême droite de la plupart des élections, qu’elles soient nationales, régionales, ou municipales… On dit que lors des élections à deux tours, les Français votent avec leur cœur au premier tour… et avec leur tête au second tour. Les sondages donnent ainsi Marine Le Pen perdante contre Emmanuel Macron et contre François Fillon, avec des écarts statistiquement significatifs.

– Enfin, il faudra que le nouveau président élu (vraisemblablement E. Macron – en tête des sondages – ou F. Fillon) attire les électeurs afin d’obtenir une majorité présidentielle aux élections législatives, seule façon d’avoir une stabilité gouvernementale. Les deux candidats sont nettement pro-européens et leur élection laisserait augurer d’un couple franco-allemand solide et de gouvernements capables de mener des réformes. Le candidat de la droite républicaine bénéficiera au moment du scrutin du soutien de l’ensemble des partis de son camp (la droite), ce qui n’est pas vraiment le cas d’E. Macron, jugé par nombre d’électeurs socialistes comme une sorte de « dissident ». Il est d’ailleurs désormais perçu comme un centriste, en témoigne sa récente alliance avec le MODEM de François Bayrou, candidat centriste des trois dernières élections présidentielles (2002, 2007 (il finira 3e au premier tour avec près de 19 % des voix), et 2012. En cas de victoire d’E. Macron, le risque perçu serait de se retrouver avec un président sans soutien d’un parti homogène, ce qui serait sans doute compliqué. Reconnaissons que pour les autres présidentiables, le risque existe également. Il est très élevé pour Marine Le Pen, élevé pour Emmanuel Macron (sauf ralliement massif et inconditionnel des députés socialistes), assez élevé pour Benoît Hamon, non nul pour François Fillon. Le risque, en définitive, serait d’avoir un pays politiquement à l’arrêt.

Les élections françaises ravivent les craintes sur la zone euro, mais ces craintes nous semblent très exagérées.
Miser sur une amélioration des spreads contre bund (et notamment le spread OAT-Bund) et des CDS souverains après les élections. D’ici là, faire le dos rond nous paraît être la meilleure des stratégies.

Philippe Ithurbide

Directeur recherche stratégie et analyse

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