Croissance : la mauvaise surprise de l’emploi

Asset Management - Les conséquences de la crise sanitaire pèsent à tous les échelons de l'économie mondiale. La pénurie de matières premières entraîne une baisse de la production, et mécaniquement le recul de l'emploi. Ce mauvais résultat va-t-il se répercuter sur les marchés ? Les explications de Karamo Kaba, Directeur de recherche économique chez Ecofi.

La décision de l’Administration Biden en faveur d’une levée des brevets sur les vaccins va-t-elle intensifier la lutte contre la pandémie de Covid-19 ? En théorie, cette levée temporaire, longtemps réclamée par l’Inde et l’Afrique du Sud, est de nature à accélérer la production. Cependant, sans suspension d’une loi américaine, le « Defense Production Act », le retard accumulé des pays pauvres sur le front de la vaccination n’est pas prêt de se résorber.

Le vaccin, toujours le vaccin…

La majorité des vaccins les plus efficaces sont produits par des entreprises pharmaceutiques américaines (Moderna, Pfizer et Johnson & Johnson). Or, cette loi donne non seulement la priorité à l’Etat américain pour la vente des vaccins produits localement, mais surtout elle empêche l’exportation de certains composants entrant dans la fabrication de ces mêmes vaccins.

A cela, il faut ajouter les difficultés technologiques pour maîtriser les vaccins de type ARN messager de Moderna et de Pfizer. Autrement dit, en dehors d’une augmentation substantielle de l’aide internationale, solution défendue par la France, nous ne sommes pas prêts de voir la vaccination accélérer dans les pays émergents.

Cette perspective est inquiétante à l’heure où l’Inde bat chaque jour des records de nouveaux cas et de décès. Et le risque d’une aggravation de la situation n’est pas à prendre à la légère depuis que l’Organisation mondiale de la santé (OMC) a alerté sur le caractère plus contagieux et plus résistant aux vaccins du variant indien. Ce qui peut annuler tous les progrès des campagnes de vaccination dans les pays riches et réintroduire à terme de nouvelles mesures de confinement.

Faiblesse temporaire de l’emploi

Nous n’en sommes pas encore à ce stade si nous nous fions à l’évolution des indicateurs avancés, mais ces derniers ont commencé à marquer le pas aux Etats-Unis, en recul de 4 points dans le secteur manufacturier (à 60,7 en avril) et de 2 points dans les services (à 62,7 en avril).

L’analyse dans le détail des enquêtes ISM a montré que plusieurs entreprises ont continué à se plaindre de problèmes tels que l’existence de goulets d’étranglement ou de pénuries de microprocesseurs en plastique et en caoutchouc. Cela explique la baisse de la production, ce qui s’est traduit par un ralentissement de l’emploi.

Ainsi, contre toute attente, le Rapport d’emploi a-t-il surpris négativement avec la création de « seulement » 266 000 postes supplémentaires en avril, un niveau très en deçà du million attendu par le consensus. Cette faiblesse de l’emploi nous paraît temporaire, car elle reflète plutôt des difficultés croissantes des entreprises pour recruter du personnel qualifié.

Sérénité des marchés financiers

Alors que les postes disponibles sont revenus à un pic de 25 mois (à 7,367 millions), 42 % des patrons de PME en avril font état de difficultés pour pourvoir à des postes vacants. D’ailleurs, le salaire horaire a poursuivi son redressement (+0,7 % en avril) malgré un léger rebond du taux de chômage (passé de 6,1 % à 6,2 %). De façon surprenante, ce mauvais chiffre de l’emploi n’a pas nui aux marchés financiers.

Les indices boursiers ont ainsi repris des forces à l’image du S&P 500 (+1,3 % sur la semaine, à 4 235 points) après le reflux des taux longs (-5 points de base, à 1,57 % pour le rendement du taux à 10 ans américain), les investisseurs étant désormais convaincus que la Réserve fédérale (Fed), contrairement à la Banque d’Angleterre (BoE), conservera pendant longtemps le biais ultra-accommodant de sa politique monétaire.

Le dollar recule face à l’euro

Comme il fallait s’y attendre, le dollar a cédé tous les gains accumulés au cours de la semaine pour finir en fort recul contre toutes les devises (-1,2 %, à 90,163 points pour le taux de change effectif). La livre sterling, en hausse de 1,5 % sur la semaine contre le billet vert, profite du relèvement des prévisions de croissance de la part de la BoE et de l’annonce par cette dernière d’une réduction de ses achats de titres.

Même si la Banque centrale européenne n’est pas prête à faire d’annonce similaire, l’euro s’est quand même bien apprécié, revenant au-dessus, à 1,216 $, en hausse de 1,2 % sur la semaine. La monnaie commune a profité également des signaux de rebond de l’activité, avec notamment la forte hausse des ventes au détail (+2,7 % en mars), revenues à leur niveau pré-Covid-19, et du retour en zone d’expansion de l’indice PMI dans les services.

Karamo Kaba

Directeur des études économiques

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