Crise sanitaire : épidémie et inégalité

Asset Management - En 2021, la crise sanitaire provoque une hausse importante des inégalités économiques et sociales. Quels éléments les investisseurs doivent-ils garder à l'œil ? Le point avec Hervé Goulletquer, Stratégiste chez La Banque Postale Asset Management (LBPAM).

Nous nous sommes évidemment beaucoup intéressé aux conséquences économiques de la crise sanitaire. Au titre de celles-ci il y a la divergence des performances économiques entre acteurs de l’économie. Qui pointe la divergence évoque la question des inégalités !

Le chaînon intermédiaire entre l’épidémie et cette question serait la montée des troubles sociaux. De quoi suggérer que malgré le retrait de Donald Trump et la clôture du dossier du Brexit, le risque politique pourrait rester plus présent que nous aurions pu l’anticiper.

Retour à la normale

La lutte contre la pandémie est, nous le savons tous, la « mère de toutes les batailles ». Il faut la vaincre, ou pour mieux dire la dompter, pour que le retour à la normale devienne à nouveau possible. Nous avons beaucoup parlé, tout au long des dernières semaines, des implications économiques, et des interrogations qui vont avec, de la crise sanitaire.

Il y a un retour de la croissance sur la tendance pré-Covid qui demandera du temps (aux Etats-Unis, au mieux en fin d’année et plus tard en Europe), une consolidation des situations d’endettement qui ne pourra se faire que sur la durée, une normalisation des politiques économiques qui demandera beaucoup de doigté et la divergence des performances entre acteurs de la vie économique — ménages, secteurs/entreprises ou pays.

Sur ce dernier point, comment ne pas insister sur la situation très différente sur le marché de l’emploi entre les diplômés d’études supérieures longues et les autres, sur le contraste entre certaines branches manufacturières et d’autres de services et sur la contre-performance par exemple de l’Italie par rapport à l’Allemagne ?

Hausse des inégalités

Pour dire les choses autrement, la crise sanitaire est en train de participer à un accroissement des inégalités. Nous savons que celles-ci étaient déjà un sujet d’attention, en fait de préoccupation, avant l’épidémie. Que va-t-il se passer après ? Commençons par nous référer à une récente étude publiée par le FMI (IMF Working PaperSocial Repercussions of Pandemics, janvier 2021). 

Les auteurs pointent une relation en deux temps entre pandémie et troubles sociaux. D’abord et dans un temps court, ces derniers se font moins importants ; les contraintes mises à la mobilité agissent comme un frein aux contestations et aux expressions d’injustice. Ensuite et davantage dans le temps long, on doit observer une accentuation des revendications sociales, principalement dans les pays où celles-ci préexistaient auparavant.

Le diagnostic est une invite à s’intéresser à la réalité des inégalités avant la propagation du virus de la Covid-19. En gardant à l’esprit les limites de cette approche mono-variée. Certains pays sont « culturellement » plus sensibles à la thématique et donc plus prompts à réagir à toute augmentation. En prenant un regard long et en se focalisant sur les pays développés, deux constats apparaissent.

Marchés financiers : épidémie et inégalité
Marchés financiers : épidémie et inégalité

Premièrement les Etats-Unis connaissent à l’heure actuelle un niveau d’inégalité plus élevé. Deuxièmement, le monde anglo-saxon se distingue par un profil en U (baisse des années 20 aux années 70 et remontée par la suite) et les autres pays (Europe continentale et Japon), par un profil davantage en une sorte de L (baisse puis une certaine stabilisation). 

Quatre développements

Fort de cette analyse, l’attention devrait se porter en priorité sur les Etats-Unis. Peut-on dire que l’Amérique de Biden saura parer un risque auquel celle de Trump n’aurait probablement pas échapper ? A la nouvelle Administration en place à la Maison Blanche de décliner « dans le réel » le thème de l’unité porté par le Président le jour de son entrée en fonction.

Mais comment faisons-nous pour réduire les inégalités ? Reportons-nous au livre de Walter Schneidel, Une Histoire des Inégalités, qui vient d’être traduit en français. L’historien autrichien, qui enseigne à Stanford, envoie un message pas très encourageant. Pour lui, cette réduction est davantage la conséquence de ruptures violentes que celle d’un processus pacifique. Il met en avant quatre développements violents, qui au cours de l’histoire ont conduit à plus d’égalité :

  • La guerre : au Japon, après la deuxième guerre mondiale, accélération de la baisse des inégalités ; le phénomène dans bien des cas peut être généralisé ;
  • La révolution : parfois dans le sillage ou en parallèle d’épisodes de guerre, la mise en place de politiques systématiques d’expropriation, de redistribution et de collectivisation ; cf. la Russie soviétique ou la Chine de Mao ;
  • L’effondrement des structures sociales : le nivellement par le bas, avec les plus riches d’entre les gens qui souffrent davantage de la crise ; probablement parce qu’ils ont le plus à perdre ; cf. la fin de l’Empire romain ;
  • Les grandes épidémies : sur un temps plus long, un changement de prix relatif des facteurs de production au travers de de la réduction de la quantité de main d’œuvre ; il est évidement en faveur du travail.

Gare au risque politique

L’action pacifique serait en la matière moins efficace. L’auteur met en avant une série d’expériences, dont le « rendement » est plutôt faible, qu’il s’agisse de la réforme agraire, des crises économiques, de l’arrivée de la Gauche au pouvoir, des mesures fiscales ou du syndicalisme.

Bien sûr, nous sommes en droit de considérer que l’histoire n’est pas faite pour se répéter ; elle ne ferait que bégayer ! Il n’empêche que l’attention au risque politique ne doit pas faiblir. Celui-ci prendrait une autre forme. Sera-t-il pour autant d’une moindre ampleur ?