Comment interpréter les signaux de la courbe des taux ?

Asset Management - Il est souvent instructif d’observer comment les investisseurs interprètent des thèmes extérieurs aux classes d’actifs qui polarisent habituellement leur intérêt – par exemple des investisseurs obligataires cherchant à expliquer les fluctuations des rendements en tournant du côté des bénéfices des actions, ou des investisseurs en actions tentant de rapprocher les valorisations des actions des prévisions de la politique monétaire de la banque centrale.

Il convient d’admettre que les marchés sont inextricablement liés et que la stabilité repose en dernier ressort sur l’équilibre existant entre les classes d’actifs. Il est à la fois paradoxal et nécessaire que nous tentions de trouver une explication logique à des fluctuations inexpliquées dans une classe d’actif en observant d’abord les autres classes d’actifs.

Mais, lorsque nous recherchons des indices dans une classe d’actifs avec laquelle nous sommes moins familiers, il existe un risque de contresens. Nous devrions faire preuve de prudence dans l’application de règles générales communément admises pour d’autres classes d’actifs. Le débat sur la courbe des taux en est un bon exemple.

Les courbes de taux s’étant dans leur ensemble aplaties au cours de ces dernières années, les mises en garde se sont accrues proportionnellement, selon lesquelles des courbes plates sont annonciatrices de problèmes économiques. Il existe des précédents historiques tangibles du pouvoir de prédiction de la courbe des taux, particulièrement aux États-Unis.

Nous pourrions même affirmer que lorsque la courbe des taux des États-Unis s’inverse, cette évolution constitue un important signal incitant à la réduction du risque. Une courbe des taux inversée et un aplatissement de la courbe sont cependant deux choses très différentes. De plus, les courbes de taux actuelles présentent des nuances locales importantes dans l’ère postérieure au QE et ceci réduit leur pouvoir prédictif.

L’inversion de la courbe, plutôt que son aplatissement, peut annoncer une récession

Depuis le début des années 1960, une inversion de la courbe des taux des États-Unis – mesurée comme étant les rendements U.S. à 10 ans moins les taux rémunérant les liquidités ou fed funds – a précédé chacune des sept récessions. Il y a eu deux fausses alertes : l’une en 1966, lorsqu’un resserrement budgétaire pendant deux ans environ a poussé les États-Unis vers un ralentissement de milieu de cycle, et l’autre en 1998, à l’époque du défaut sur la dette russe et de la crise financière asiatique.

Avec un tel taux d’occurrence, il est peu surprenant que les investisseurs scrutent attentivement les courbes de taux, particulièrement lorsqu’elles s’aplatissent. Pourtant, un examen plus attentif révèle que le problème ne réside pas tant dans le processus d’aplatissement de la courbe des taux que dans celui de son inversion.

Au cours des neuf phases d’aplatissement de la courbe des taux aux États-Unis depuis le début des années 1960, l’indice S&P 500 a enregistré une performance, en moyenne, supérieure à 30 % entre le moment où la courbe a commencé à s’aplatir et celui où elle a commencé à s’inverser.

Mais entre le point de première inversion de la courbe et celui de l’apogée de cette inversion, le S&P 500 a performé en moyenne de – 2,5 %. Les précédents historiques suggèrent que, si une inversion de la courbe des taux aux États-Unis est un signal d’appel à la prudence, ce n’est pas le cas d’un aplatissement de cette courbe. En effet, l’aplatissement de la courbe est une conséquence d’un cycle de hausses des taux, fréquent au cours des dernières phases d’un cycle économique.

De plus, les dispositifs de quantitative easing adoptés dans le monde entier ont déformé les courbes de taux. La Réserve fédérale américaine (Fed) détient environ 20 % de l’encours de la dette du Trésor américain (U.S.) ce qui fausse l’équilibre de l’offre et de la demande obligataire longue et réduit le pouvoir d’alerte économique de la courbe des taux.

Tout en surveillant attentivement la courbe des taux, nous estimons qu’il est encore un peu trop tôt pour annoncer la fin de l’expansion. Au Royaume-Uni cependant, nous constatons des signes tangibles que les déséquilibres offre/demande ont réduit le pouvoir d’alerte de la courbe des taux – avant même l’introduction du QE. La courbe des taux du Gilt (U.K.) présente certaines similitudes avec la courbe U.S., les inversions ayant tendance à précéder les récessions, mais avec beaucoup plus de fausses alertes.

Par exemple, lorsque la courbe du Royaume-Uni s’est inversée entre 1984 et 1987 et de nouveau à la fin des années 1990, cette inversion n’a pas précédé une récession économique. Il y a eu en fait une période (du début des années 1990 jusqu’au milieu des années 2000) au cours de laquelle la courbe des taux des liquidités comparés à ceux du 10 ans au Royaume-Uni était en moyenne de 100 points de base (pb) plus plate que la courbe des Etats-Unis.

L’essentiel de cette différence s’explique par les taux directeurs, le taux de base réel au Royaume-Uni (c’est à dire corrigé de l’inflation) ayant été tout au long de cette période, en moyenne supérieur de 130 pb au taux réel des fed funds (U.S.). Les différences dans la structure du marché hypothécaire de l’époque sont souvent citées pour expliquer une courbe structurellement plus plate au Royaume-Uni.

Aujourd’hui cependant, ce scénario de taux de base relativement élevés au Royaume-Uni comparativement à ceux des fed funds aux États-Unis ne s’applique pas du fait que le taux de base au Royaume-Uni n’est que de 0,5 % alors que celui des États-Unis en est à sa sixième hausse (pour le moment) et qu’il s’inscrit dans un cycle de hausse de taux.

Par conséquent, les spreads de taux à l’extrémité courte de la courbe n’expliquent pas son aplatissement au Royaume-Uni. Les caractéristiques du marché local sont un facteur plus important pour calibrer le pouvoir prédictif de la courbe du Royaume-Uni aujourd’hui. Tout d’abord, un quart de l’encours des Gilts est détenu par la Banque d’Angleterre et ceci ne devrait pas changer avant que le cycle de hausse des taux au Royaume-Uni ne soit bien enclenché.

En second lieu, il convient de relever que la structure du marché des pensions dans ce pays présente un puissant acteur de la demande à l’extrémité longue de la courbe britannique soutenue par une proportion importante d’obligations au titre des prestations définies, accompagnées d’incitations réglementaires à détenir des Gilts indexées à maturité longue.

Le résultat final est que, même avec des taux de base au Royaume-Uni encore exceptionnellement bas, la courbe des taux est tout à fait plate et que même une hausse modeste des taux à l’extrémité courte provoquera un nouvel aplatissement. Le Royaume-Uni est un parfait exemple d’un marché sur lequel le pouvoir prédictif de la courbe des taux est affaibli et fournit une leçon sur la manière dont nous devrions interpréter les autres courbes de taux dans l’ère post-QE.

En conclusion, nous ferons trois observations. En premier lieu, la courbe des taux est un puissant indicateur mais c’est une courbe inversée plutôt qu’un aplatissement de la courbe qui produit un signal d’alerte. En second lieu, même pour un investisseur ne détenant pas d’actifs américains (U.S.), c’est une inversion de la courbe des taux U.S. qui importe le plus, plutôt que la courbe locale.

Enfin, si un aplatissement de la courbe possède une certaine capacité d’alerte, d’autres facteurs (incluant le QE) annoncent des courbes structurellement plus plates à ce stade du cycle que ce que nous avons constaté au cours des périodes antérieures.