Billet du Docteur Leber – janvier 2020 : innover et investir, le retard européen

Asset Management - En janvier 2020, la bourse affiche une évolution positive. Quelles sont les dynamiques économiques porteuses à l'international ? Pourquoi l'Europe court-elle le risque de se retrouver distancée ? Voici le billet mensuel du docteur Leber, fondateur d'Acatis, société de gestion indépendante allemande.

L’évolution positive de la bourse en 2019 devrait se poursuivre en 2020, portée par des taux d’intérêt bas et une bonne tendance de l’année électorale aux États-Unis malgré de nombreux changements structurels, barrières commerciales et tensions politiques. Les problèmes non résolus liés à l’endettement extrêmement élevé dans le monde se poursuivront dans les années à venir.

Nous constatons combien il est facile de célébrer la bonne conjoncture grâce à l’argent emprunté. Le déficit de l’état fédéral américain atteint presque 800 milliards de dollars. La fête semble, dans un premier temps, vouloir jouer les prolongations.

Le retard européen

Le monde avance à un rythme historiquement inédit. En tant qu’investisseurs, nous misons sur des thèmes qui jouent en faveur de la planète. Nos sociétés en portefeuille font preuve d’une capacité d’innovation étonnante. Elles anticipent et lancent des tendances économiques. Qui reste en retrait se fait distancer. C’est pourquoi nous sommes satisfaits de notre sélection de titres.

Les politiques et les administrations font obstacle à ces changements, particulièrement en Europe. L’Europe n’est pas bien préparée pour le XXIe siècle. Alors que les États-Unis ou la Chine ont créé des entreprises qui comptent plus d’un milliard de clients dans le monde entier, à partir de leurs grands marchés intérieurs, rien de tel ne s’est passé dans l’Europe morcelée.

Spotify et Skype sont, à cette date, les derniers produits de consommation d’envergure mondiale nés en Europe. L’Europe occupe une position centrale dans le secteur des voitures, des boissons alcoolisées, des sacs à main et de la mode à l’échelle mondiale. Mais pas dans les produits de cette nouvelle ère.

L’exemple du tunnel de Riederwald

Toute une page de la rubrique locale du Frankfurter Allgemeine Zeitung du 19 décembre dernier consacrée au tunnel de Riederwald — bien que connu seulement à Francfort — révélait la situation désastreuse de l’administration allemande actuelle. Le titre annonce déjà le fiasco : « Le tunnel de Riederwald est pour bientôt ». Ce tunnel est planifié depuis 1963. Par « bientôt » comprendre que les travaux commenceront dans les deux ans et seront terminés au cours des dix prochaines années.

Depuis des années, les habitants du quartier de Riederwald subissent un engorgement, avec 10 000 voitures par jour. Les recours des Verts et de l’État fédéral ont fait grimper les coûts de construction de 157 millions d’euros rien qu’au cours des cinq dernières années. Cela a permis de protéger une population de chauve-souris – l’autoroute a été décalée de quelques mètres.

En économie, l’erreur n’est pas permise. Quelle autre utilité aurait-on pu trouver à ces 157 millions ! Par exemple, dépenser 5 millions à l’échelle nationale pour la protection des chauves-souris, 10 millions pour des protections anti-bruit, et les 142 millions d’euros restants pour des réductions d’impôts, la « retraite de base » (Respektrente), la recherche, l’aide aux surdoués ou pour la rénovation des infrastructures, notamment ferroviaires.

Les trois erreurs de l’Etat allemand

Notre État pense en termes de compétences et de règles. Contrairement à l’économie, il n’est pas orienté en fonction des solutions et des processus. Nous pouvons le constater dans l’échec partiel de la politique migratoire. L’Inde possède les empreintes digitales et de l’iris de plus d’un milliard de ses habitants, et l’Allemagne n’est pas en mesure d’identifier clairement ses réfugiés. Il ne s’agit pas de l’efficacité des solutions mais des responsabilités, des règles d’appels d’offre et de la protection des fournisseurs nationaux, etc. Nous pouvons constater le manque d’orientation en termes de processus dans les démarches administratives, les déclarations fiscales, les procédures judiciaires ou les chantiers d’autoroute. Notre État est mal structuré pour affronter le XXIe siècle.

L’absence de validité des règles constitue un deuxième problème majeur. Certes les parlements sont élus démocratiquement, mais leurs décisions ne sont plus acceptées de manière générale. Les intérêts personnels l’emportent sur l’intérêt général. Les lois sont parfois appliquées, parfois non ; en fonction de la peur des politiciens face aux puissants lobbies. Des règlementations favorables à une majorité ne sont pas appliquées à cause de la pression des intérêts individuels (débats sur les poulets au chlore ou les expulsions), l’État ignore volontairement ou par imprudence les lois et les jugements (décret de non-application des autorités fiscales), les politiciens ignorent les accords multilatéraux (le règlement de Dublin, les critères de Maastricht, la paralysie de l’OMC).

Enfin, il manque des incitations positives et négatives pour encourager les politiciens à agir de manière réfléchie. Où sont les sanctions pour faute politique dans le cas de l’aéroport de Berlin, de l’affaire des péages, du manque de surveillance de la part de l’agence fédérale allemande de l’automobile dans le « dieselgate », de l’indifférence vis-à-vis du scandale CumEx (ou scandale des dividendes) ou des inspections alimentaires insuffisantes entraînant un scandale sur la listeria dans la Hesse ? Et où se trouve la récompense pour un taux de chômage bas ? Les réussites comme les échecs restent sans conséquences pour les politiciens.

Dans ce contexte, où investir ?

En tant qu’investisseurs, nous faisons face à d’importantes disruptions. Nous devons évaluer quels projets de recherche apportent de meilleurs médicaments, quelles technologies permettent la transition énergétique, quels capteurs et ordinateurs font fonctionner les véhicules autonomes, quels autres systèmes de paiement émergent de la blockchain.

Les forts potentiels sont mis en évidence par des pays tels que les États-Unis ou la Chine. Quiconque commence à innover en Europe part avec un lourd handicap. Les progrès sont réalisés non pas là où les politiques bloquent les évolutions mais là où elles les soutiennent. Et ce n’est certainement pas en Europe. Nous investirons donc essentiellement dans des pays qui encouragent les évolutions et non qui les freinent.

Hendrik Leber - ACATIS Investment

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