Banques centrales : taux ou tard

Asset Management - En Europe, l’attention se porte sur la BCE. Investisseurs et opérateurs attendent de la clarification sur la tolérance concernant les pressions haussières sur les taux longs et sur l’utilisation des programmes d’achat de titres. L’aurons-nous demain ? La politique allemande est secouée par une affaire de corruption visant la Démocrate-chrétienne. Quelles en seront les conséquences en matière de choix budgétaire et européen au lendemain de l’élection législative de septembre prochain ? Hervé Goulletquer, stratégiste chez LBPAM, partage son analyse.

Les taux longs se sont détendus hier. Les raisons à cela ? Une adjudication de titres d’Etat américains à 3 ans qui s’est bien passée et, préalablement, des propos rassurants de la secrétaire au Trésor, Janet Yellen. N’a-t-elle pas déclaré qu’elle ne croyait pas au retour de l’inflation et que, si jamais cela devait être le cas, les moyens pour « la faire rentrer dans le rang » existent ?

Faisons deux remarques en la matière. D’abord, dans le moment compliqué que l’économie mondiale traverse, avec beaucoup de stimulus en provenance de la politique économique, l’ancrage des anticipations de marché paraît être quelque chose de très important ; comme une sorte de balise dans un environnement incertain.

N’a-t-il pas suffi aux Etats-Unis que le breakeven 10 ans dépasse juste de peu la cible d’inflation de 2 % fixée par la Fed pour engendrer les pressions sur les taux longs observées au cours de la période récente ?

Banques centrales : taux ou tard

D’un continent à l’autre

Ensuite, il faut bien comprendre la finalité de la politique économique américaine suivie aujourd’hui ; et ceci avec une belle harmonie entre le Trésor et la Fed. L’objectif est double : faire repartir la croissance et réduire les inégalités. Pour atteindre ce deuxième but, il est nécessaire que l’inflexion haussière de l’activité soit forte et durable.

Le taux de chômage doit baisser suffisamment bas pour ramener vers le marché du travail tous ceux qui s’en sont éloignés et pour forcer à une accélération des salaires des moins qualifiés d’entre les salariés. Le processus sera-t-il inflationniste ? L’expérience des années passées (pré-Covid) ne le montre pas.

Restons autour de la préoccupation en relation avec la hausse des taux longs, mais changeons de continent. C’est aujourd’hui que les membres du Conseil des gouverneurs de la BCE se retrouvent à Francfort. La réunion formelle aura lieu demain, mais des contacts informels vont très certainement être pris dès cet après-midi. Il y a un vrai enjeu de communication, sachant que les marchés sont en attente de clarté dans les messages envoyés.

Perspectives de la BCE d’ici 2023

Disons que sur la période récente les choses auraient pu être plus claires. Il faut se souvenir des expressions sophistiquées, mais complexes, voire simplement trop vagues, employées par la Présidente Lagarde lors de la conférence de presse post-Conseil de janvier dernier : une « approche holistique » en matière de conditions financières et la « flexibilité » dans l’utilisation du programme PEPP d’achat de titres.

Depuis, nous avons suivi le débat interne sur la tolérance à avoir par rapport à la remontée des taux longs. Mais les arguments échangés tiraient de trop à hue et à dia, pour qu’une ligne directrice apparaisse. Les investisseurs et les opérateurs aimeraient mieux comprendre, premièrement si la BCE privilégie le mouvement des taux longs ou celui des conditions financières et deuxièmement quel est le niveau de taux long de référence à partir duquel elle est mal à l’aise.

Ils veulent aussi recevoir une nouvelle fois l’assurance que la banque centrale est prête à utiliser ses programmes de façon « volontariste », pour garantir l’atteinte des cibles suggérées et/ou comprises, si ce n’est fixées. Bien sûr, le marché s’intéressera aussi à la révision des projections, proposée par les équipes de la BCE. Comment un début d’année 2021 plus poussif en termes d’activité économique et plus tonique en matière d’inflation impacte-t-il la série de prévisions d’ici à 2023 ?

Banques centrales : taux ou tard

Allemagne, politique budgétaire

Intéressons-nous toujours à l’Europe, mais quittons le domaine des taux d’intérêt pour regarder du côté de la politique allemande. Deux élections régionales auront lieu le week-end prochain ; l’une en Bade-Wurtemberg et l’autre en Rhénanie-Palatinat. Les résultats de la CDU conditionneront pour partie l’avenir politique d’Armin Laschet, le Président du parti.

S’ils sont favorables, la probabilité, qu’il puisse prendre la tête de la liste chrétienne-démocrate pour l’élection législative de septembre prochain, est grande. La perspective n’est en rien évidente à aujourd’hui. Une affaire de corruption, touchant deux élus de cette famille politique, a éclaté récemment et les implications négatives sont déjà visibles dans les sondages d’opinion.

La question en jeu est celle de la ligne politique de la Démocrate-chrétienne allemande, singulièrement dans les domaines budgétaire et européen ; ceux qui intéressent le plus les marchés. Le risque, en cas d’échec électoral aux retombées négatives pour Laschet, est que le choix se porte sur un dirigeant plus conservateur, c’est-à-dire moins en faveur de l’intégration européenne et plus orthodoxe budgétairement parlant. Le point est de première importance !