Les banques centrales changent-elles de vitesse ?

Asset Management - Les taux d’intérêt à long terme ont fortement augmenté depuis fin juin sur tous les grands marchés. Cette fois-ci, le mouvement provient d’Europe et non des Etats-Unis. La hausse des taux a en effet été déclenchée par les déclaration du président de la BCE Mario Draghi, selon lequel la reprise s’était raffermie dans la zone euro et les risques de déflation avaient disparu.

Nombre de participants au marché ont interprété les paroles de Mario Draghi comme un préalable à une normalisation de la politique monétaire. Il s’ensuit que la montée des rendements dans la zone euro a tiré à la hausse les taux des pays anglo-saxons, du Japon et de la Suisse. Janet Yellen a en outre apporté sa caution à cette évolution en déclarant que la Réserve fédérale n’était pas préoccupée par le décrochage récent de l’inflation américaine, ce qui pourrait laisser à penser que la Fed ajuste de facto son objectif d’inflation à la baisse.

Les participants du marché spéculent, de plus, sur le moment auquel la banque centrale américaine réduira son bilan. Il semble raisonnable de se préparer à une poursuite de la normalisation des politiques monétaires européenne et américaine, même si nous pensons toujours que ce processus sera très progressif. Les taux d’intérêt devraient ainsi continuer de croître jusqu’à la fin de l’année, quoique à un rythme bien plus modéré que ces derniers jours.

Dans la zone euro, le climat politique favorable constitue un moteur supplémentaire de hausse des taux pour les semaines à venir. Les risques politiques ont en effet sensiblement reculé depuis les élections françaises et celles prévues en Italie (la prochaine source d’inquiétudes) sont encore lointaines. Enfin, les taux d’intérêt ont également augmenté en Suisse et le rendement des emprunts de la Confédération à dix ans devrait prochainement devenir positif.

Au mépris des risques, une année 2017 calme et stable

Si les banques centrales visent habituellement à susciter l’ennui, la Réserve fédérale, la Banque d’Angleterre et surtout la BCE se sont toutes détournées de cet objectif ces dernières semaines. Le durcissement inattendu de leur discours s’est ressenti sur les marchés financiers. La plupart des indices d’actions des pays développés affichent ainsi un repli en juin, les investisseurs soupçonnant un risque d’écroulement du soutien que représentait jusqu’ici une politique monétaire
ultra-accommodante. Avant même ce surprenant revirement de la communication des banques centrales, une faiblesse des marchés boursiers à court terme  était tout à fait probable.

Un facteur majeur de soutien des cours des actions a disparu : les prévisions de croissance des résultats des entreprises. Depuis quelques semaines, les révisions des estimations de bénéfice par action (BPA) sont en chute libre, en particulier aux EtatsUnis, où elles sont même passées en territoire négatif. Une fois encore, avec l’érosion temporaire des prix du pétrole, les entreprises du secteur de l’énergie étaient en première ligne. Sur les marchés européens, il faut s’attendre à ce que les prévisions de croissance du BPA tendent toujours vers le bas au cours des mois à venir, tout en sachant que les mesures de valorisation fondamentales font ressortir un net avantage pour les valeurs européennes. Pourtant, il semble que plus rien ne puisse ébranler les investisseurs en actions, qui ignorent superbement les risques géopolitiques et autres, un excès de confiance qu’illustre de manière frappante la volatilité du S&P500.

En ce début de phase préalable à la publication des résultats, les entreprises entrent dans la période d’interdiction de rachat de leurs propres actions, un soutien des cours qui va donc fléchir au cours des prochaines semaines. Un phénomène saisonnier qui invite à la prudence.

Les taux de change effectifs sous l’influence des banques centrales

L’évolution relative des taux de change effectifs des grandes monnaies depuis début juin épouse largement la politique de communication des banques centrales correspondantes. L’EUR est ainsi orienté à la hausse depuis que le président de la BCE Mario Draghi a inopinément durci le ton lors du forum de la BCE organisé
au Portugal. De même, la Réserve fédérale comme la Banque d’Angleterre ont souligné leur volonté de réduire le soutien de la politique monétaire à l’économie. Certains observateurs voient ces déclarations comme une actions concertée, et c’est bien ainsi que le marché les a interprétées.

Dans le même temps, la Banque du Japon réaffirmait sa détermination à conserver une politique monétaire ultra-accommodante jusqu’à ce que son objectif d’inflation soit atteint. Outre les déclarations de la banque centrale, l’appréciation de l’EUR se justifie par la bonne tenue de l’économie dans l’union monétaire. Cependant, aux niveaux actuels, le potentiel de hausse supplémentaire de l’EUR par rapport à l’USD nous semble limité sachant que la Réserve fédérale est dans un cycle de resserrement. En outre, la BCE voudra sans doute éviter que l’EUR ne progresse encore trop et trop vite, en raison des effets négatifs que cela pourrait avoir sur la croissance.

En revanche, par rapport au CHF, les politiques monétaires relatives de la zone euro et de la Suisse laissent prévoir une marge supplémentaire d’appréciation (certes modérée) de la monnaie unique. La banque nationale suisse n’en est pas moins considérablement soulagée et peut ainsi réduire ses interventions sur le marché des changes. Dans tous les cas, tous les grands modèles de valorisation indiquent que le CHF reste surévalué.

 

Claudia Bernasconi - SwissLife AM

Économiste spécialiste des marchés émergents chez SwissLife AM

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