Au Japon, des perspectives optimistes

Asset Management - En 2017, lorsque la croissance mondiale était faste, le Japon a réussi à enregistrer une impressionnante croissance de 1,7 % de son PIB. Nos prévisions pour la croissance japonaise à court terme sont peut-être moins optimistes que celles de la période d’expansion de l’an dernier mais la croissance sous-jacente reste, de manière satisfaisante, supérieure à la tendance.

Le tableau est nuancé. Il est vrai que l’estimation provisoire officielle du PIB réel du Japon pour le trimestre 1 a fortement déçu, en affichant un recul de 0,6 % (taux moyen en glissement trimestriel annualisé corrigé des variations saisonnières), lui-même intervenu peu après la publication des chiffres du trimestre 4 2017 révisés en baisse.

Un examen détaillé du PIB suggère que l’investissement immobilier résidentiel a été réellement faible, en se contractant au cours d’un quatrième trimestre (les mises en chantier de nouveaux logements ont fait écho à cette tendance), et la consommation a été stable corroborant ainsi d’autres statistiques mensuelles peu brillantes de la consommation. Mais un frein provenant d’un mouvement de déstockage, qui ne devrait pas persister, a représenté la totalité du recul de 0,6 % en glissement trimestriel annualisé corrigé des variations saisonnières.

De plus, le Japon a tendance à réviser de façon importante ses statistiques de PIB et une révision à la hausse semble particulièrement probable — étant donné que les enquêtes et d’autres indicateurs à plus haute fréquence de l’activité paraissent plus robustes. Par ailleurs, les facteurs fondamentaux sous-jacents du Japon demeurent sains : la confiance des entreprises et des ménages ainsi que les recrutements restent particulièrement solides. Les attentes du consensus pour 2018 continuent à miser sur une croissance globale de 1,2 %, nettement supérieure à notre estimation de 0,5 % de son potentiel de long terme.

Une tendance haussière très progressive de l’inflation

Une telle croissance supérieure à la tendance implique une nouvelle diminution de la main d’oeuvre sous-employée, dans ce qui semble être un marché de l’emploi particulièrement tendu. Le taux de chômage du Japon de 2,5 % est le plus faible enregistré depuis 1993 et son ratio emplois à pourvoir/demandeurs d’emploi atteint 1,59, un plus haut historique depuis 44 ans, alors que l’enquête trimestrielle Tankan menée par la Banque du Japon (BoJ) auprès des entreprises fait ressortir une proportion croissante de répondants indiquant un manque de main d’oeuvre dans de nombreux secteurs d’activité.

Comme dans beaucoup de pays du monde développé, cette apparente tension ne s’est cependant traduite que par de modestes progressions de salaires – bien que les entreprises regorgeant de liquidités pourraient certainement se permettre d’octroyer des augmentations de salaires plus importantes. Les progressions salariales se sont concentrées sur les bonus plutôt que sur des hausses des salaires fixes et une part importante de ces dernières semble due à une évolution de la population sondée (à échantillonnage constant, l’indicateur “core scheduled earnings” n’augmente que de 0,8 % en glissement annuel).

Dans le même temps, l’inflation ne progresse que très progressivement ; l’IPC core a marqué une pause en avril, à 0,4 % en variation annuelle. Nous anticipons une reprise de cette tendance haussière le mois prochain, du fait que les facteurs temporaires s’estompent et que la croissance se rétablit, bien que l’objectif d’inflation de 2 % de la BoJ reste éloigné.

Faible probabilité à court terme d’un assouplissement du contrôle de la courbe des taux par la BoJ

Dans ce contexte restant décevant sur le plan de l’inflation, le Summary of Opinions (synthèse des opinions) de la BoJ publié à la suite de sa réunion d’avril et les déclarations du gouverneur Haruhiko Kuroda ont contribué à rassurer les marchés sur la constance de sa stimulante politique de contrôle de la courbe des taux (YCC), qui ancre les rendements de l’obligation à 10 ans de l’État japonais (JGB) à 0 %.

Plusieurs raisons sous-tendent ce sentiment de marché — principalement le fait que ses dirigeants, Kuroda en particulier, ont souligné l’absence de données probantes concernant une hausse soutenue de l’inflation, même lorsque l’IPC core progresse. Tout d’abord, les anticipations d’inflation des entreprises, des consommateurs et des économistes sont obstinément restées inchangées depuis deux ans du fait que les salaires sont à la traîne.

En second lieu, les instruments de politique monétaire qui pourraient être des alternatives au YCC sont, soit difficilement applicables, soit largement inefficaces ; la Banque du Japon, par exemple, ne peut pas acheter des titres étrangers pour influer sur le taux de change.

Troisièmement, une majorité des membres du Comité de politique monétaire (MPC) considère les politiques actuelles comme durables, estimant que la faiblesse des taux a des effets négatifs limités sur l’intermédiation financière, et il semble peu probable que de nouveaux signes probants vont émerger, qui influeraient sur l’opinion de l’un de ses membres. Quatrièmement, avec Kuroda et les autres membres du Conseil récemment reconduits dans leurs fonctions, le risque de discontinuité de la politique monétaire sous un différent leadership est faible.

Par conséquent, si la BoJ pourrait à l’avenir assouplir l’ancrage du 10 ans à un taux proche de zéro, la probabilité d’une telle évolution à court terme est très faible. Enfin, fait rassurant, lorsque la BoJ finira par faire évoluer sa politique (YCC), il semble de plus en plus probable qu’elle annoncera bien à l’avance une tel changement de cap, contrairement aux années antérieures. Lorsqu’elle a intensifié ses mesures d’assouplissement, la BoJ s’est peu préoccupée de l’utilité du pilotage des anticipations, menant ses actions progressives comme une surprise destinée à provoquer un effet maximal de choc et de stupeur (approche qui a pu fonctionner comme prévu).

Au cours de ces dernières semaines, la BoJ a insisté sur la nécessité de préparer davantage les marchés en amont de tout changement de sa politique pour éviter les surprises négatives et sa communication est devenue plus efficace et réaliste. Nous avons constaté ce changement de pied lorsque la BoJ a renoncé à la date limite qu’elle s’était fixée pour atteindre son objectif d’inflation de 2 % (arrêtée de façon irréaliste à l’année budgétaire 2019).

Le risque politique planant sur notre scénario de base

À moyen terme, un risque persistant pour notre scénario de base optimiste sur le plan économique et monétaire réside dans la possibilité de perte du premier ministre japonais Shinzō Abe — en le sortant des Abenomics. Alors que celui-ci ambitionne de solliciter un troisième mandat comme leader du Parti Libéral Démocrate (LDP) au pouvoir (un vote se tiendra en septembre), le taux d’approbation de son cabinet s’est effondré dans un contexte de scandales de soupçons de népotisme.

Un autre leader du LDP pourrait être davantage enclin à augmenter les impôts et à inciter la BoJ à préparer un plan de sortie de son dispositif YCC. Mais les pressions sur Abe ont diminué d’intensité au cours de ces derniers mois, les témoignages compromettant n’ayant pas permis de produire de preuves accablantes. Si certains risques demeurent, Abe et les perspectives des Abenomics semblent désormais reprendre de la vigueur.