Trafalgar en Australie : la France perd un contrat à 56 milliards d’euros

Actualités - Cette semaine, l'Australie torpille un contrat de livraison de sous-marins à 56 milliards d'euros, signé en 2016 avec l'entreprise française Naval Group. Derrière cette volte-face, il faut lire l'affirmation de la présence américaine dans la zone Pacifique pour contrer la pression chinoise. Quelles conséquences géopolitiques et économiques ?

Trafalgar en Australie : la France perd un contrat à 56 milliards d'euros

(Conception : Mathilde Hodouin – Réalisation : Amandine Victor)

Vocabulaire martial de rigueur. Sur France Info, Jean-Yves Le Drian, ministre français des Affaires étrangères, parle d’un « coup dans le dos ». Ce jeudi 16 septembre, l’Australie a rompu un contrat avec la France pour l’achat de douze sous-marins à propulsion diesel-électrique. « Ce n’est pas un changement d’avis, c’est un changement de besoin », s’est justifié Scott Morrison, Premier ministre australien. La torpille — qui a coulé un accord à 56 milliards d’euros — venait en vérité de Washington. La France, victime collatérale de la nouvelle alliance sécuritaire entre Etats-Unis, Royaume-Uni et Australie dans la zone indo-pacifique ?

Adieu le « contrat du siècle »

Pour l’industrie française, c’était « le contrat du siècle ». Le groupe industriel français Naval Group l’avait décroché en 2016 — initialement pour une valeur de 31 milliards d’euros. Objectif, construire renouveler la flotte sous-marine australienne pour s’affirmer face à la Chine dans l’océan Pacifique. A la clé, plusieurs transferts de technologie puisqu’une partie de la construction se fait sur place. Naval Group prévoit une version alternative des futurs sous-marins nucléaires français Barracuda. En 2019, un second contrat prévoit un partenariat stratégique de cinquante ans. La coopération espérée à long terme est morte-née.

Ce jeudi 16 septembre, l’Australie annonce construire à la place au moins huit sous-marins nucléaires avec la technologie américaine et britannique. « Nous avions établi avec l’Australie une relation de confiance, cette confiance est trahie », réagit Jean-Yves Le Drian. La pilule passe mal. Ce jeudi 16 septembre, Antony Blinken, secrétaire d’Etat américain, réaffirme que la France reste un « partenaire vital » des Etats-Unis. « Nous coopérons de manière incroyablement étroite avec la France sur beaucoup de priorités communes (…) Nous allons continuer à le faire », martèle le chef de la diplomatie américaine. Mais le froid persiste.

Volte-face à 400 millions d’euros

Les relations franco-australiennes sont très endommagées, mais la Nouvelle-Zélande non plus n’y trouve pas son compte. Depuis 1985, le pays interdit l’entrée des sous-marins nucléaires dans ses ports. C’est pour cette raison que Naval Group avait proposé une alternative diesel-électrique. « L’Australie a pris sa décision sur les sous-marins en fonction du meilleur intérêt pour sa sécurité nationale », a déclaré ce jeudi Peter Dutton, ministre australien de la Défense. Les rotations d’avions de combat américains sur le territoire australien seront plus fréquentes… mais l’affirmation de puissance américaine va coûter cher à tout le monde.

Après le camouflet politique, se pose la question des conséquences économiques. Ce mercredi 15 septembre, Naval Group prend acte de la décision australienne. Le contrat perdu représente 10 % du chiffre d’affaires annuel de l’entreprise. « Ça ne remet pas en cause l’avenir de Naval Group », déclare l’entreprise à l’AFP. En revanche, l’Australie encourt des pénalités financières et Naval Group entend réclamer une grosse indemnisation. Le montant exact prévu dans le contrat reste confidentiel. Le Financial Review, quotidien économique australien, estime toutefois que la somme pourrait atteindre 400 millions d’euros.

Mathilde Hodouin - Le Courrier Financier

Rédactrice en chef (janvier 2019 - février 2024)

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